Le plus précieux bistrot de Paris ? Le plus authentique ? Le plus joli à photographier comme à vivre ? Le plus délicieux à croquer : ce Moulin à Vent, millésimé 1946, survivance du quartier de l’ex-halle aux vins de Jussieu, aux airs de chef-d’œuvre en péril. Avec son comptoir, ses banquettes, son plafond bas, ses tables nappées, il évoque le mythique Chez Biche, où se retrouvaient Ventura et Gabin dans « Touchez pas au grisbi » !  Une jeune équipe dirigée par le dynamique Théophile Moles l’a repris sans en toucher l’esprit, baissant les prix, prodiguant une cuisine ménagère de haute volée sous la houlette de Maxime Plateau, qui a œuvré trois ans chez Lucas Carton. Le registre est subtil, franchouillard, savoureux. Pour preuve le carpaccio de tête de cochon, les escargots au beurre persillé, l’œuf mayo à peine revisité, la (mœlleuse) poitrine de veau confite 15h sauce aux morilles et gratin dauphinois ou le chateaubriand béarnaise avec ses pommes sautées à l’ail. On boit là-dessus des vins de circonstance. Et on craque, in fine, pour la profiterole au chocolat avant d’achever avec une chartreuse de la collection maison. Voilà une maison dont on sort rajeuni !

Cet impayable bistrot Art nouveau, avec ses fresques dédiées au « Cyrano » d’Edmond Rostand, révèle une jeune cheffe de grand caractère. Charleyne Valet, c’est elle, revoit les plats de tradition à sa manière ludique. Sa cuisine est câline, solide, séductrice. Passée par Nord-Nord et le Chamarré, avec Antoine Herrah, elle s’affaire à imaginer les plats de la semaine, ceux qui vont changer et ceux qui vont revenir. La tradition se mêle ici aux souvenirs de voyage : terrine de campagne, avec câpres et pickles, œuf tamago avec mayonnaise à l’encre de seiche ou millefeuille de pommes de terre, avec crème fouettée, à l’huile d’olive et olives taggiasche constituent de belles surprises. Charleyne revoit sa copie chaque jour, mais charme à tous coups. Une belle cocotte veggie contenant un bourguignon de légumes avec chipotle, champignons, carottes, patates douces et brocolis, un fin risotto aux champignons de Paris ou un porc au caramel à la vietna- mienne témoignent de ses idées dans l’vent. Comme ses desserts qui sont des réussites sans ombre, tel le pressé de pommes au cidre façon fausse Tatin sans pâte, avec sa crème crue, qui donnent envie de prendre pension.

Le Cyrano – 3 Rue Biot, Paris 17e – Métro(s) : Place de Clichy

Les frères Dufour, on les connaît chez Paul Chêne, rue Lauriston. Sébastien l’aîné, Adrien le cadet paraissent travailler en s’amusant – ou l’inverse –. Ils ont réussi à recréer des lieux comme avant façon « bistrots de toujours à la parisienne » , reprenant la leçon des Dumant. Ces joyeux lurons ont de qui tenir – leurs parents possédaient l’emblématique Brasserie Lorraine place des Ternes. Ils ont tout compris des envies du moment d’une clientèle parisienne qui aime sortir sans casser sa tirelire. Et ont fait de l’œuf mayo, du filet de bœuf au poivre et des vraies frites croustillantes (et maison!) leur credo, le tout dans des décors retrouvés. C’est exactement ce qu’ils proposent rive gauche, avec un neuf bistrot qui a l’air déjà vieux, vif, ludique. Avec leur associé Charly Laborde, ils débouchent les bouteilles à qui mieux mieux sur un zinc beau comme un camion. Escargots persillés en coquilles, œufs Léon, rituel pâté en croûte, andouillette sauce moutarde, plus filet béarnaise et frites croustillantes: voilà ce qui vous attend, avec l’appui d’une palette de crus choisis et avant une tarte très fine aux pommes à fondre.

Paul Chêne Cherche-Midi – 79 Rue du Cherche-Midi, Paris 6e – Métro(s) : Saint-Placide

L’art de vivre et la tradition : tel est bien le credo de l’excellent Nicolas Decatoire, qui a fait de son comptoir un QG de gourmands sans œillère et de son rade rustique un repaire d’amis bâfreurs. Le lieu a du charme et du caractère et rien ici ne saurait se réduire à un énoncé sur l’ardoise, ni à une mode. Ce qu’on aime ici : tout simplement l’ambiance unique qui règne chez lui. Son Gavroche, si bien nommé, est bien un bistrot en or. On se dirige à deux pas du Palais Brongniart, comme on se rend à son club de copains farceurs qui prennent la bonne vie au sérieux. On ne triche pas ici avec les mets de tradition. Œuf mayo, pâté de campagne, tripes et blanquette sont au programme et les prix ont su raison garder. La Bourse est à côté, qui envoie ici ses courtiers, ses employés des maisons de change toutes voisines qui savent qu’ils trouveront ici pitance et crus honnêtes à fort bon compte. Les desserts sont des souvenirs d’enfance, qui se nomment gâteau aux pommes, tarte aux prunes rouges, crème caramel, baba au rhum ou fondant au chocolat. Voilà un bistrot heureux.

Le Gavroche – 19 Rue Saint-Marc, Paris 2ème – Métro(s) : Bourse, Grands Boulevards

Benjamin Schmitt ? Un technicien fortiche passé à l’Office rue Richer, venu du Meurice avec Alléno, passé au Taillevent avec Bizet puis Herland, puis, avec le premier, à l’Oiseau Blanc du Péninsula. Le voilà à son compte, dans une ancienne table italienne revue drôle et alerte, avec ses chaises modernes et ses jolis luminaires, dont on a conservé le four à pizza. Benjamin joue là une partition précise, ludique et savoureuse: un mimosa de poireaux revu avec sa vinaigrette tiède, des sardines à la flamme, fenouil étuvé, sucs d’arête, plus la belle volaille d’Arnaud Tauzin à Saint-Sever dans les Landes, en deux cuissons, la peau croustillante, avec guanciale, asperge à la flamme, jus au fino. Il y aussi un sacré cassoulet de Castelnaudary, sans chapelure, avec couenne, confit, saucisse de Toulouse, haricots du Lauragais, demeurés fermes à la cuisson, « dans le respect de la tradition ». On ajoute les jolis desserts, comme la mousse au chocolat noir de Tanzanie servie tiède avec son café givré. Là-dessus, on boit, au verre, des vins de cœur dans tous les vignobles, avec l’envie de revenir en hâte.

Hectar – 41 Rue Catherine de la Rochefoucauld, Paris 9ème – Métro(s) : Saint-Georges

Le bonheur ? Simple comme une carte écrite à l’encre violette, avec un service complice, des vins rieurs, un patron qui chouchoute ses clients comme des amis, une cuisine lisible, des plats réconfortants, réalisés avec des produits sélectionnés, plus un décor chatoyant avec banquettes de moleskine, moulures au mur, vaste comptoir en étain, tables bien nappées, grands miroirs qui donnent le sentiment qu’à chaque instant, il se passe « quelque chose ». Il y a tout cela chez Jean-Gabriel de Bueil, qui insuffle sa belle humeur au lieu. Lui, qui tenait jadis une ribambelle de bistrots, a soldé son empire, pour devenir l’homme d’une seule maison. Pari réussi avec ce lieu beau comme un camion, qui constitue le portrait de ces bistrots que le monde entier nous envie. Dans les assiettes, du bon, du savoureux, sans chichi, ni prétention. Comme le fameux foie de veau à l’anglaise, la « belle » sole grillée ou ce « pavé du Mail » avec crème et poivre, plus frites maison. Est-ce assez pour dire que l’ami Jean-Gab’ est devenu au fil des ans le grand prêtre d’un culte qui est celui de la cuisine bourgeoise et que « Chez Georges » et la discrète rue du Mail figurent temple et diocèse.