Auberge de l'Ill
« Illhaeusern: cours de savoir-vivre à l’Auberge de l’Ill »
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Chaque année, c’est un voyage gourmand qui ressemble à un devoir de vacances: vérifier si l’Auberge de l’Ill demeure bien la plus belle table du monde, d’Alsace et de son village – on peut inverser l’ordre, cela ne changera pas grand chose. Tonton Jean-Pierre, fringant nonagénaire, est toujours présent à l’accueil, Marc Haeberlin actif aux fourneaux, sous l’oeil du portrait de papa Paul qui veille avec son bon sourire à l’entrée de la cuisine, Danièle, la soeurette, est à la réception, tandis que Laetitia a donné naissance à un petit Gabin, signe que les générations se prolongent dans cette demeure familiale qui semble aller de son bon pas.
En salle, Michel Scheer, qui a fait valoir ses droits à la retraite, a été remplacé par Alain Schohn, qui a quarante ans de maison (!) déjà, Serge Dubs, meilleurs sommelier du monde, veille une carte aussi bourguignonne qu’Alsace, signe qu’ici, on a le coeur large. Bref, plus ça change à l’Auberge – comme on dit en Alsace -, moins ça change. Et tout le monde est ravi. La clientèle est aussi locale qu’internationale, les habitués côtoient les néophytes qui découvrent cette demeure unique avec sa vue l’Ill, le jardin sous les arbres, à fleur d’eau, la cigogne qui veille sur son nid les dîneurs à l’heure de l’apéritif.
Magie de l’oeil avant les merveilles du goût voilà ce qui vous attend là. Comme cette neuve variation sur le thème de la tomate avec son consommé de tomates « coeur de boeuf » en chaud et froid, ses ravioles d’araignée de mer à l’encre de seiche, et ses cromesquis, qui feront la plus plaisante des ouvertures. Ou encore la désormais classique salade de tripes aux fèves et au foie d’oie poêlé surmonté d’un oeuf de caille, le maquereau de ligne au vin blanc avec sa grecque de chou fleur, son caviar Petrossian. Et puis, pour faire mode, avec légèreté et fraîcheur, la tartare de daurade royale à la pastèque, sa crème légère d’agrumes, son sorbet concombren ses oeufs de poissons volants au wasabi.
Des leçons de choses? Il y a de ça. La cuisine, le service, le cadre, l’environnement idyllique et champêtre, qui vont l’amble ici, donnent toujours le sentiment de donner, tout ensemble, un cours de savoir-vivre. Il y a ces toiles de Muhl, dont celle des chefs qui orne la première salle côté baie vitrée, les conseils vineux du grand Serge, et les clins d’oeil aux mets de papa Paul dont l’ombre bienveillante semble toujours ici présente: mousseline de grenouilles ou saumon soufflé. Les poissons se renouvellent: le filet de sandre est poêlé avec sa raviole épaisse comme en pays de Bade, dite multascha, aux écrevisses, flanqué de croûtons d’anguille et d’une émulsion aux écrevisses.
Le turbot est poché en écailles de courgettes grillées, escorté de pommes paillasson aux cèpes et d’une légère hollandaise au curry doux. Il y a aussi le joli registre carnassier qui se renouvelle: carré d’agneau Allaiton d’Aveyron rôti avec ses gnocchis d’artichauts et cèpes avec son ketchup maison de tomates fraîches, les noisettes de chevreuil aux champignons avec leur compote de mangue à la feuille de kombava et ses knepfle aux épinards et au fromage blanc. Bref: moderne et alsacien.
Le balancement circonspect entre moderne et ancien, on l’observe encore au moment des desserts, quand on hésite entre l’éternel vacherin grand-mère et le culotté gâteau moelleux à l’huile d’olive avec tomates cerises confites à la vanille et glace au yaourt de brebis, avant de se rabattre, juste pour le plaisir, sur le craquant millefeuille cuit, minute et proposé pour deux, tranché en salle, avec ses fruits rouges, sa crème au kirsch, sa glace vanille.
On glisse sur le riche muscat de Rolly-Gassmann, ou plus sec de Josmeyer, le riesling Clos St Hune 2000 de Trimbach, impérial et minéral, le vosne-romanée les Chaumes 2001 de Ligier-BelAir ou encore le kirsch de Windholtz à Ribeauvilé, histoire de terminer les deux pièces en Alsace. Alors l’Auberge, toujours au sommet? Du charme, de l’élégance, de la gourmandise … et du savoir-vivre!