Les chuchotis du lundi : les inconnus de la Santoire, trois étoiles suisses pour Sven Wassmer, Rémi Chambard défend le « territoire d’île de France », Guy Savoy le geste et la manière, Nicolas Sale s’avance masqué, du neuf au Paris 16, le Prunier nouveau est arrivé

Article du 24 octobre 2022

Les inconnus de la Santoire

Jocelyn Fraisse et Maredsou Charvillat © GP

Ils sont pleins d’enthousiasme et de volonté, ont 32 ans chacun, se sont connus sur les bancs de l’école. Jocelyn Fraisse et Maredsou Charvillat ont été formés au lycée hôtelier de Clermont-Ferrand. Ayant oeuvré chez Xavier Beaudiment dans leur ville natale, ayant voyagé en Australie, puis perfectionné chez Jacques Chibois à Grasse, et aux côtés de Philippe Augé à l’Hostellerie de Levernois près de Beaune, enfin chez Arnaud Lallement à Tinqueux, le trois étoiles rémois, ils ont repris un ancien moulin abandonné au bord d’un étang durant huit ans (« le Moulin de la Santoire »), appartenant au bourg de Saint-Saturnin dans le Cantal. Ils lui ont redonné du sens, offrant une cuisine enracinée et pleine de tonus. Jocelyn et Maredsou, qui sont les « jeunes qui montent du pays des volcans » ont fait de leur moulin gourmand « la » table du moment à visiter entre Aurillac et Saint-Flour. Leurs menus font la part belle aux produits les plus authentiques du pays auvergnat, traités avec justesse et minutie. Le velouté de butternut et pied de cochon, la langue de bœuf en tataki et pancake caramélisé de chou sauce chili ou encore la truite farcie de Charles Murgat au combawa, kaki et chorizo de Salers font partie de leurs merveilles à découvrir. Prenez date, il y a déjà du monde…

Trois étoiles suisses pour Sven Wassmer

Sven Wassmer © DR

C’est le nouveau et quatrième chef suisse sur le toit du monde gourmand. Sven Wassmer, pur produit de l’univers gourmand helvète, est né à Laufenburg, il y a 35 ans, dans le Fricktal en Argovie, à la frontière allemande, au bord du Rhin, non loin de Bâle, où il a été formé au Swisshotel. Il est passé chez les trois étoiles des Grisons, Andreas Caminada au Schloss Schauenstein à Fürstenau, puis au Park Hotel Witznau, au bord du lac des Quatre Cantons,  avec le deux étoiles Nenad Mlinarevic. A Bad Ragaz, dans le canton de Saint-Gall, dans un palace (le Grand Resort Quellenhof Bad Ragaz), qui possède six tables de qualité, dont le deux étoiles IGNIV d’Andreas Caminada, il livre, dans son Memories, désormais couronné de trois étoiles, une cuisine à la fois contemporaine et très épurée, inspirée par les riches produits des Alpes, herbes, poissons, viandes, racines, frottés à ceux d’ailleurs, mais avec un sens aigu du minimalisme, fuyant tout superflu. Il est donc le quatrième trois étoiles suisses, après Franck Giovannini du Restaurant de l’Hôtel de Ville à Crissier, Peter Knögl du Cheval Blanc au sein du palace les Trois Rois à Bâle et enfin Andreas Caminada, déjà cité.

Rémi Chambard défend le « territoire d’île de France »

Rémi Chambard © GP

Les Jardins de Corot ? Cette demeure hôtelière des abords de Paris, entre une avenue roulante et le vert de la forêt proche, avec les étangs qui firent rêver Corot, on la connaît. Elle a été embellie et rafraichie par le groupe hôtelier rennais Beautiful Life Hôtels, tout en gagnant son entrée dans le club fermé des Relais & Châteaux. Aux fourneaux du Corot, sa table étoilée, Rémi Chambard, rochelais passé jadis aux Sources de Caudalie dans les Graves, s’est mis en tête de mettre en valeur le « territoire de l’île de France ». Jadis, sur le même thème, misant sur le cresson de Méréville, le pâté Pantin et les asperges d’Argenteuil, sans oublier le « veau chaud », une version à lui de la tête de veau, revue façon bistrot chic, Yannick Alléno inventa le « terroir parisien ». Rémi Chambard vise, lui, sur une ligne parallèle, tous les produits de l’ancienne Seine-et-Oise, de l’actuelle Seine et Marne comme des Yvelines, avec des mets sophistiqués et des producteurs de la (très) grande couronne parisienne, en version gastronomique. Son grand menu est ainsi comme une balade à travers les produits de tradition et les villages d’autrefois. Les amuse bouche mixent burrata d’Auffargis, et œufs fumé des abords. comme la pomme de terre de Fontenay-sous-bois  avec échalote et caviar osciètre de Sologne, le vin de Suresnes qui égaye la Saint-Jacques avec racine de persil  et sauce au vin « Les Terrasses ». L’hommage à Ville d’Avray, la commune chic et champêtre, mais surtout sylvestre, où se trouve cette belle table, est une fine tarte aux champignons, oignons confits, agastache.  On en reparle vite…

Guy Savoy, le geste et la manière

A soixante-neuf ans, il ne raccroche pas les gants. Il sait qu’il mourra en scène comme Molière, assure « la vie commence aujourd’hui et recommence demain. Je ne peux pas, je ne veux pas arrêter! D’abord, je ne sais rien faire d’autre. Je n’ai qu’une envie : continuer. Je n’arrêterai jamais, jusqu’à la fin, au crématorium : j’espère juste que ce ne sera pas trop cuit! On verra bien après, il n’y a jamais trop de passion dans ce métier. Jamais trop« . Ainsi Guy Savoy achève-t-il son nouveau livre qui sort cette semaine au Cherche Midi, sous le titre : « le Geste et la Manière ». Et le sous-titre : « Vive la Gastronomie Française » (auquel manque un point d’exclamation). Avec son humour habituel, lié à sa passion, le grand Guy du quai de Conti, premier chef du monde selon la Liste, depuis 5 ans, exprime son amour pour son métier, les difficultés d’être dans l’inactivité forcée et l’attente angoissée durant les deux confinements, mais aussi  sa foi grande dans le terroir français, ses produits, ses artisans de bouche, ses collègues, qui, comme Georges Blanc en Bresse, Troisgros à Roanne, Guérard dans les Landes, Pic à Valence, Roellinger en Bretagne ou Westermann en Alsace, pour n’en citer que quelques uns, défendent le patrimoine culinaire français avec ferveur. Un livre comme un chant d’amour.

Nicolas Sale s’avance masqué

Nicolas Sale © Maurice Rougemont

Il n’a jamais été fortiche en communication. Ou, au contraire, s’est toujours montré très malin sous des abords naïfs. Nicolas Sale avait annoncé son départ du groupe K2 de Courchevel  (où il détenait deux fois deux étoiles, dont une fois avec son adjoint Glenn Viel devenu depuis la star trois fois étoilées que l’on sait) alors que le guide rouge était déjà bouclé. Puis il est parti du Ritz, subrepticement, au début de l’an dernier, affirmant qu’il partait « pour un projet personnel« . Depuis, il était devenu l’ambassadeur itinérant et le président des amis d’Auguste Escoffier. Mais, pour son futur personnel et sa carrière, c’était le black out total. Jusqu’à jeudi dernier, où  par sa RP interposée, il envoyait un communiqué de presse indiquant : « après six années au Ritz, Nicolas Sale promettait d’écrire une page plus personnelle de sa carrière. Ce sera chose fait avec son premier projet qui naitra en 2023 et où il sera seul maître abord. C’est dans un univers inattendu, haut lieu de la gastronomie et des produits, que cette nouvelle adresse a été pensée par le chef, premier à investir les lieux. Une opportunité pour cet homme de passions de prendre la parole sur des sujets qui lui sont chers, de raconter son histoire, son parcours de vie et casser les codes. Un investissement personnel avant toute chose où il sera aux premières loges, au plus près des producteurs, pour sélectionner des produits d’exception« . Une manière claire de ne rien dire de précis, mais d’affirmer sa présence. Même, si du côté du marché de Rungis, tout le monde sait que Nicolas prépare là, dans un entrepôt du village (en l’occurrence dans l’ancienne « Marmite » de l’avenue de Bourgogne), son futur « grand restaurant » ... Quand on le titille, il avoue que « ce projet qui se construit doucement sera dans l’humain, le partage et dans la transmission. Et devrait voir le jour au printemps voire à l’été 2023« … « Cultivez le flou, on y verra des lumières« , disait naguère Jacques Chancel, l’animateur de « Radioscopie » En ce domaine, Nicolas Sale est donc passé maître. Lui, que l’on suit depuis belle lurette – aux Pêcheurs du Cap d’Antibes-Beach Hôtel, du Castellet au Beausset et au M au Hyatt Madeleine, a plus d’un tour dans son sac et retombe toujours sur ses pattes. Ce gavroche parisien, né au bas de la butte Montmartre, élevé à Aubervilliers et à Pantin, passé au Vaudeville et au Pavillon Royal, aux Magnolias de Perreux et dans l’ombre de Philippe Legendre au George V,  au Lucas Carton avec Alain Senderens, chez Gagnaire et au Meurice avec Marc Marchand, avait obtenu trois étoiles au Ritz : deux à l’Espadon, la table du soir, une au Jardin, celle du déjeuner. On lui souhaite la même réussite dans sa nouvelle entreprise.

Du neuf au Paris 16

Fred Prudhomme et Laurent Chéné © GP

Changement de chef au Paris Seize (notre bistrot de l’année, lors de notre récent « trophée des bistrots »), mais pas de style. L’ancien chef, le jeune Kennie Bonaventure, est parti pour devenir DJ. On lui souhaite bon vent et une belle carrière. Le nouveau chef, Laurent Chéné, n’est pas un inconnu du groupe Dumant, car il oeuvrait jusque là à l’Auberge Bressane. Ce spécialiste des quenelles, des soufflés, des vol au vent, est ici à son aise pour continuer à concocter une « bonne cuisine parisienne », aux racines provinciales, de bon aloi. A l’accueil, on retrouve le rond rubicond Frédéric Pud’homme, présent là depuis un quart de siècle, qui veille sur les lieux avec une civilité très fraternelle. Le cadre aux airs 1950, au rez-de-chaussée d’un immeuble moderne, avec ses banquettes de moleskine, ses chaises high tech, ses toiles sportives (avec ses clins d’oeil à l’avant-centre de légende, Raymond Kopa et au magique gardien de but russe dit « l’araignée », Lev Yachine), sa carte rédigée à l’encre violette, joue le côté vintage avec allant. Pâté en croûte, poireau mimosa, crème de cèpes, salade haricots verts et champignons de Paris crus, filet de bœuf aux morilles, calamars sautés, bouchée à la reine (ris de veau, volaille, champignons) comme un monument du genre, côte de bœuf, soufflé au fromage sont ici des gourmandises, fines, généreuses, classiques d’allure, éternelles dans le goût paisiblement affirmé. On en reparle vite !

Le Prunier nouveau est arrivé

Fabien François et le service © GP

Que Prunier change de style, renouant avec son glorieux passé, on vous l’avait déjà annoncé il y a quelques semaines. La maison, qui fête son cent cinquantenaire – elle a été créée par Alfred Prunier en 1872 (c’était alors rue d’Antin dans le 2e), avait déménagé, en 1875, rue Duphot, où elle a depuis été revue par Jean-Claude Goumard et son successeur Philippe Dubois, devenant Goumard. Cette dernière enseigne vient d’être vendue et le lieu va être transformé en bureaux. En revanche, la légendaire maison Prunier de la rue Traktir, angle Victor Hugo, continue sur le mode années 1920, sous son historique façade de mosaïques vertes. Le groupe Caviar House et Prunier ont confié la cuisine à Yannick Alléno. La déco a été revue chic dans l’esprit Art déco par l’architecte d’intérieur Alexandra Saguet, épaulée par les Studios Gohard et L’atelier du Mur. Et la cuisine signée du trois étoiles de Ledoyen qui a l’art de se dédoubler avec souplesse (il l’a prouvé à Pavie du côté de Saint-Emilion et à Monaco en son Pavyllon de l’Hermitage) a conçu une carte marine de haute tenue, où le caviar, issu de l’élevage maison de Gironde, est mis en valeur avec hardiesse. En cuisine, officie le chef Fabien François, ancien de l’école Robuchon, que l’on vit il n’y a pas si longtemps au restaurant Dassaï rue du Faubourg Saint-Honoré. La partition qui se joue ici en finesse, entre ancien et moderne, avec moult références à la grande tradition Prunier, est d’une séduction totale. Ainsi, les huîtres gratinées au beurre maître d’hôtel, le fameux oeuf Christian Dior avec grains de caviar et gelée de jambon, le saumon Balik à la parisienne « comme l’aimait Yves Saint-Laurent », avec caviar Saint James et mayonnaise à la livèche, qui font partie des nouveaux classiques maison. Il y a encore la provocante glace à l’artichaut et quenelle de caviar, la gelée de courge à la crème de ferme et caviar, les huîtres spéciales au lait d’amande et à l’aneth ou le bar de ligne à l’assiette au céleri et caviar sans omettre le merlan frit « à la façon Prunier », avec son tartare de thon et caviar. On n’omet pas, in fine, les jolies pâtisseries parisiennes, ni les ganaches signées Alleno & Rivoire. On en reparle vite…

 

A propos de cet article

Publié le 24 octobre 2022 par

Et vous, qu'en avez-vous pensé ? Donnez-nous votre avis !