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Hommage à André Lorentz

Article du 28 février 2016

Mon ami André Lorentz, alsacien émérite, vigneron exemplaire et propriétaire du domaine Klipfel à Barr, vient de disparaître à l’âge de 83 ans. Pour lui rendre hommage, on me permettra de reprendre l’entrée sur sa ville, tirée de mon « Dictionnaire Amoureux d’Alsace » (Plon, 2010). Repose en paix, cher André, toi qui fut un si ardent feu-follet!

André Lorentz, Daniel Irion, GP © DR

André Lorentz, Daniel Irion, GP à Obernai en 2006 © DR

Barr. La place est bancale. Le Brochet la regarde. L’hôtel de ville, merveille Renaissance de 1640, avec oriel, surmonté d’un fronton à volutes, et clocheton, bâti sur les restes d’un château, la surplombe. On dirait évidemment une place de théâtre, qui sert aussi à présenter les vins locaux pour la foire de juillet. On pourrait trouver plus de charme à Barr si les demeures étaient plus fleuries, plus pomponnées. Mais la ville, majoritairement protestante, n’est pas du genre à se hausser du col, ni à se laisser happer par le grand tourisme

Elle a cependant des arguments, avec les canaux ouverts, les proches montagnes couvertes de vignes, du Kirchberg ou du Kastelberg, les maisons nobles qu’on découvre au fur et à mesure de la balade. Andlau est sa discrète voisine, avec les mystères de son abbatiale dédiée à Sainte-Richarde, comme la montagne du Hohwald, et aussi Mittelbergheim, avec sa collection de maisons Renaissance, son côteau du Zotzenberg, ses deux clochers.

Mais Barr prend des allures de mini capitale du vin bas-rhinois. Strasbourg n’est qu’à une trentaine de kilomètres, Molsheim ou Obernai à quelques pas, Sélestat figurant une grande voisine. Les ruines aristocratiques l’entourent, celles des châteaux d’Andlau, du Spesbourg et du Landsberg. Les vignerons sont des seigneurs. Je pense aux Hering, qui veillent avec la componction de luthériens rigoureux (un pléonasme !), sur les destinées du Clos de la Folie Marco. Sur ce beau terrain granitique et schisteux, leur sylvaner, ailleurs réputé simple, voire « vulgaire », a des allures de cépage de grande classe, donnant un vin de race.

Je songe encore à mon copain André Lorentz, qui, venu de Bergheim, a épousé il y a plus d’un demi-siècle la fille Klipfel, et dont les deux fils gèrent aujourd’hui le grand domaine avec ses quarante hectares produisant des crus séducteurs. Il fait volontiers goûter chez lui de très vieux millésimes, 1959 ou 1964, ce qui en muscat comme en riesling est quelque chose, histoire de montrer que l’Alsace sait prendre de l’âge en gardant du nerf. Mais est-ce sa vocation ? Un rosé d’été, gouleyant et fruité, un rouge de Barr séveux, un magnifique gewurztraminer issu du Clos Zisser, un muscat à croquer et un riesling, dont la cuvée porte le nom du beau père Louis Klipfel, est qui est « simplement à boire » se contentent, dans sa grande cave, de faire diablement plaisir. Et je n’oublie pas sa quetsche, distillée en finesse avec sa saveur du fruit net et frais.

D’autres vignerons d’ici, qu’ils se nomment Wantz ou encore Heywang, sur la proche commune d’Heiligenstein, qui promeut un original « klevner », qui est le traminer d’avant la greffe qui le transforma en « gewurz » (épicé), soit un savagnin, valent le coup d’être cités et goûtés. Mais j’aime bien André, qui n’est pas simplement vigneron, négociant fameux, bateleur de son propre vin et de sa région – avec son frère Charles dit « Charlot », ou encore « le pharmacien » car il débuta des études médicales avant de reprendre l’affaire familiale, celle de Bergheim dans le Haut-Rhin, il truste le marché de la brasserie parisienne – mais encore un fort caractère.

Né au tout début des années 1930, garnement durant la dernière guerre, il apprit l’allemand avant le français, fut enrôlé, comme tant d’autres, dans la « Hitler Jugend », avant de devenir un bon soldat français, effectuant son service dans les chasseurs alpins et de participer au « maintien de l’ordre » lors de la guerre d’Algérie. Bref, il a traversé l’histoire en demeurant lui-même. Portant volontiers le gilet rouge à bouton doré et le grand chapeau, façon « Ami Fritz » pour illustre, verre en main, ses propres cartes postales.

Sportif accompli, champion de ski, bon nageur, chasseur d’élite (il va souvent, en Pologne ou en Hongrie, céder à sa passion), il est d’abord quelqu’un qui prend le temps de vivre. Il sait, souvent avant moi et ne manque pas de m’en informer, ce qui bouge dans la restauration tout azimut, porte la bonne parole de l’Alsace dans les grands établissements populaires de Paris, tient ses quartiers chez Jenny, Bofinger, au Congrès ou à l’Européen. Mais n’est jamais aussi heureux que quelque part en lisière de Barr ou de son berceau de Berheim.

Un ermitage vosgien à Thannenkirch ou une virée en ski au Markstein suffisent à son bonheur. De Strasbourg à Mulhouse et d’Haguenau à Colmar, mais aussi de Metz à Baden-Baden et de Karlsruhe à Bâle, tout le monde boit, a bu ou boira du Klipfel, bannière ou plutôt étiquette jaune, indiquant le bon rapport qualité/prix, sous laquelle se cache le souriant André. La renommée de Barr la vineuse et la charmeuse a mezza voce, dont le terrain de football porte le nom de son beau-père, lui doit beaucoup.

André Lorentz en 2013 © GP

André Lorentz en 2013 © GP

A propos de cet article

Publié le 28 février 2016 par

Hommage à André Lorentz” : 4 avis

  • A toi mon ami Jean-Louis et toi Sophie, rien que du plaisir d’avoir déjeuner avec vous hier avec mon épouse Mimi et mon fils Lucas. Très triste mon ami d’avoir appris cette triste nouvelle, moi qui l’ai connu récemment et sachant les liens très fort qui vous unissaient. Je te souhaite bon courage et suis de tout cœur à tes côtés. Prends bien soin de toi, de ta maman et de tes filles. A bientôt à toi et Sophie en Chine.

  • Klipfel patrick

    à toi Jean-Louis que j’aurais tant aimé aider si ma santé avait été bonne ; je te présente mes sincères , affectueuses et amicales condoléances , aux tiens et particulièrement à ANDRÉE ta
    maman que j’embrasse ; depuis 1970 je connais André ton papa ; il est venu vendre vos vins à
    l’hôtel restaurant cinéma  » ZINSEL  » , ferme , basse cour , grand jardin , le circuit déjà court pour
    ses clients ; ma grand mère et ma maman faisait la cuisine ; nous étions invités à BARR avec André
    qui nous présenta ton grand père Mr Louis Klipfel qui nous démontra à papa et moi même nôtre lien
    sur l’arbre généalogique ; lien qui émanait de 1600 et des poussières ; bon courage , philosophie et merveilleux succès pour ton Domaine , ( il sera encore plus près de toi , avec ton frère tout proche ). . . je t’embrasse .

  • Rolling

    Nous nous connaissions depuis plus de 40 ans professionnellement et pendant les semaines gastronomiques à l’étranger. Sincères condoléances
    Jacky Rolling Table du Retro a Casablanca

  • schreyeck claude

    vous avez parfaitement décrit André que j’ai connu voilà maintenant 45 ans. Il avait une énergie qui m’impressionnait, très enthousiaste, convainquant, avec un grand sens du commerce, fidèle en amitié. Il avait une forte personnalité et a apporté beaucoup à notre terre d’Alsace, il nous manquera.

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