2

Hommage à Bernard Clavel

Article du 7 octobre 2010

GP & Bernard Clavel au Saut du Doubs © Maurice Rougemont

Il était l’homme du grand Est, du grand Nord, des grands espaces. Celui de la forêt de Chaux et des « Colonnes du Ciel« , l’homme du Labrador et des Compagnons du Nouveau Monde. Sa vie ressemblait à ses livres. Il était né à Lons le Saulnier, fut apprenti-pâtissier à Dôle. Rejoint le maquis du Jura dès 1942. On le retrouve à Lyon après la guerre où il est journaliste au Progrès. Son premier roman porte un titre emblématique: « l’Ouvrier de la Nuit » (1956).

Bernard Clavel © Maurice Rougemont

Il est celui qui garde les yeux ouverts sur le monde, rédige sans cesse, avance dans son oeuvre, comme un bûcheron soulève sa cognée. Je me souviens encore de ses colères, de ses emportements. Contre les combats inutiles, les militaires, les décorations, les offenses faites à la nature, les mondanités aussi. On se souvient de son prix Goncourt 1968 pour « les Fruits de l’Hiver« , dernier volet de sa saga autobiographique « la Grande Patience« , qui provoqua l’ire et le claquage de porte de la dite académie par Aragon (qui défendait alors François  Nourissier et « le Maître de Maison »). Bernard Clavel démissionnera à son tour de l’Académie en 1977, après y avoir été admis en 1971. « Mais je ne peux tout lire« , disait il naïvement, comme si on demandait à un académicien de tout lire, et non de faire des choix.

Bernard Clavel au Pissoux © Maurice Rougemont

Il y avait une sincérité, une force, une émotion vive, une fraîcheur vraie dans chacun des engagements de Bernard, que j’avais rencontré une première fois au Saut du Doubs en 1980, à l’occasion de la sortie de « Marie Bon Pain« . Il habitait alors un petit chalet au hameau du Pissoux, dans cette Comté franche, en lisière de la Suisse, verte, montueuse, presque sauvage où il était enraciné, et qu’il n’avait jamais cessé de quitter pour y revenir. Il vient d’y mourir non loin. Lui qui fut l’homme des cent voyages, des trente maisons – je l’ai revu en Irlande à Doom House, au coeur du Connemara, à Morges et à Vuifflens-le-Château, dans le canton de Vaud à fleur du Léman, à Gaillac, dans le bordelais, du côté des Graves, ou encore dans une demeure châtelaine en bordure de Loire.

Bernard Clavel © Maurice Rougemont

J’en oublie? Sans doute. On n’en finit jamais avec Bernard Clavel dont il faut relire non seulement « les Fruits de l’hiver » (« j’ai pleuré, me disait-il, en y faisant mourir mes parents), mais aussi « l’Espagnol« , « Lettre à un képi blanc » ou « Qui m’emporte« . L’homme des combats contre la guerre, la peine de mort, qui relatait et réinventait ses voyages au Québec avec Josette Pratte (« le Royaume du Nord« ) , qui lui fit vivre une seconde vie, était d’abord un grand travailleur, un laborieux magnifique, qui écrivait sa vie, l’imaginait aussi avec flamboyance à travers les siècles.

Bernard Clavel près du Saut du Doubs © Maurice Rougemont

Je pense à lui encore s’émouvant d’une quenelle de brochet chez Jean Ducloux à Tournus, d’un civet de lièvre chez Barrier à Tours ou d’un turbot aux asperges chez Jean Bardet, son voisin. Et je n’oublie non plus, la découverte d’un magnifique vin jaune avec des noix et du comté, chez les Droz, à l’hôtel de France de Villers-le-Lac. Et je le revois, bien sûr, en Franche-Comté, skiant dans la neige au coeur du Revermont, se hasardant entre les arbres ailés de la forêt de Chaux ou lorgnant la lumière du lac, entre Morges et Saint-Saphorin, que nous explorâmes ensemble. Mais non, tu n’es pas mort, Bernard, tes livres vivent.

Bernard Clavel © Maurice Rougemont

Bernard Clavel © Maurice Rougemont

A propos de cet article

Publié le 7 octobre 2010 par

Hommage à Bernard Clavel” : 2 avis

  • GUEIDAN

    Pour moi, Bernard Clavel a eu le don de me faire revenir en images dans cette région où je suis née.
    Dans « les fruits de l’hiver » je revoyais les endroits qu’il a décrits, les rues de Lons le Saunier mais aussi les forêts (Perrigny) et les villages. La vie dure d’autrefois, les gens pauvres.
    C’est quelqu’un de beau dans sa façon de voir la vie, les autres. J’ai adoré son histoire du petit apprenti pâtissier et j’ignorais qu’il avait été apprenti mais….comment pouvoir dire toutes ces choses sans l’avoir vécu ?
    Il me manque encore quelques lectures, je vais y remédier. Cet écrivain du terroir est l’emblème de notre patrimoine culturel régional. Merci M. Clavel.
    Jane Anna

  • Merci Monsieur pour votre hommage rendu à Bernard Clavel. Les médias furent timides pour saluer la mémoire de cet homme intelligent et rude, que voulez-vous, un écrivain populaire, fut-il de talent, ne mérite pas les colonnes réservées aux polémistes ainsi qu’aux élus d’un certain parisianisme.
    J’ai connu Monsieur Clavel au temps où il demeurait à Bellefontaine dans le haut Jura (en a-t-il tenu des maisons !)et la dernière lettre que je conserve de lui m’annonçait qu’il devait renoncer à se rendre chez moi, souffrant trop des jambes.
    Enquêteur pour un guide que vous connaissez bien (pas la jacquette rouge, l’autre) j’apprécie votre blog et si je ne suis pas toujours en accord avec vos élans, j’en partage beaucoup d’autres.
    Merci pour vos enthousiasmes et vos réjouissants coups de gueule.

Et vous, qu'en avez-vous pensé ? Donnez-nous votre avis !