Au Sauvignon
« Au Sauvignon (Paris 7e): bistrot tête à claques »
Un article plus récent sur le même sujet est disponible sur notre site, vous pouvez le retrouver en cliquant ici
Voilà un lieu qui charme et agace à la fois, dont on peut tout dire et son contraire, qui donne envie de paresser des heures en terrasse au carrefour stratégique Sèvres/Saint-Pères. C’est à la fois Babel et Babylone, un peu le Sénéquier de son quartier, moins la mer. Un brin de snobisme, un zeste d’authenticité, une touche de Cantal, un rien de Corrèze, beaucoup de parisianisme. J’y venais souvent au temps de Michel Boussuge, le premier mari de Marie-Françoise Vergne, qui, si elle dirige aujourd’hui la demeure fondée par ses parents, n’est plus guère présente, laissant à sa fidèle Gigi le soin de servir, au bar, le sancerre, issu de sauvignon, qui explique le nom de la demeure.
Ce qu’on aime ici? Les pancartes et enseignes rigolotes, disséminées ici et là, les cartes postales et les enveloppes postées par les amis du monde entier et encadrées à l’effigie des vieux copains (il y a un portrait du cher Michel Piot avant l’escalier menant aux toilettes). Plus, bien sûr, les belles tartines de pain Poilâne, ici de fondation, la charcuterie d’Auvergne et le foie gras de qualité, comme les chablis ou les beaujolais choisis. La maison existe depuis 1954. On comprend qu’il lui en reste une âme, un brin préservée au bar, à l’intérieur, tout près du comptoir.
Ce qu’on aime moins? La morgue des serveurs – pas tous! Qui vous excluent de la terrasse même à l’heure du café – prétextant que celle-ci serait réservée aux repas, ou plutôt aux grignotis maison – vous refoulant donc à l’intérieur, ce qui est un tantinet rebutant lorsque le temps est au beau. Sans omettre l’accueil un brin austère. Et puis les prix qui ont grimpé davantage que le funiculaire sur les hauts du Mont Dore. « Le Sauvignon? Mais c’est une formidable machine à fric », me suggère mon compagnon de ce jour, Albert Nahmias, qui connaît bien la demeure et la suit avec circonspection depuis quelque trente ans. Il est vrai que le café à 2,90 € et la petite bouteille d’eau minérale à 5,20 € donnent une petite idée des marges bénéficiaires de ce café auvergnat ayant réussi.
Reste qu’aux yeux du souvenir la maison garde un charme ineffable. J’y venais, jadis, avec Jacques Laurent, qui habitait alors rue Chomel, et, bien sûr, avec Robert Sabatier, entre deux cocktails de prix, qui pouvait allumer sa pipe en terrasse, converser en patois avec le gars Michel (Boussuge pas Piot!), tandis que Jean-Pierre Marielle l’interpellait sur le thème de: « alors, mon vieux, comment ça va depuis l’autre soir, chez Castel. Mieux, j’espère! » Autre temps, autre Sauvignon. Ou bien le même. Même si le temps a passé sur Saint-Germain-des-Près…
Ps: j’oublie de parler de Lionel Poilâne qui était non seulement le fournisseur attitré du pain de la maison, mais aussi le copain/voisin qui adorait venir y boire un café, souvent après avoir déjeuné au voisin Récamier, alors dirigé par Martin Cantegrit. C’était au temps où le père Vergne régnait encore sur la demeure, manifestement paralysé du maxillaire inférieur. « Il ne sourit, notait Lionel, »que lorsqu’il se brûle« . Déjà l’accueil…