3

Les chuchotis du lundi : Saint-Emilion capitale gourmande, les brillants débuts de Manon Fleury chez Datil, le couronnement du Moulin à Vent, les fantaisies néo-coréennes de OMA, le duo asiatique tout en délicatesse des 2K, la cuisine juive new-yorkaise vue par Annabelle Schachmès

Article du 16 octobre 2023

Saint-Emilion capitale gourmande

Thibaut Gamba à la Cadène © GP

Saint-Emilion, qui prend ces temps-ci l’allure d’un « Mont Saint Michel » de la Gironde, parcourue, de boutiques en venelles, par des hordes touristiques, devient également une capitale gourmande. On connaissait déjà l’Huîtrier Pie,  toujours en forme, et l’Envers du Décor, bistrot gourmand qui renouvelle sa palette demeure le QG des vignerons du village (on y a croisé la semaine passée Yves Vatelot de Château Reignac, Sylvie Cazes du Château Chauvin,  Jean-Luc Thunevin du convoité château Valandraud)). Mais la nouveauté gourmande et étoilée  du bourg? La venue de Thibaut Gamba à la Cadène. On connaît le parcours de ce vosgien de Neufchâteau, formé à l’école hôtelière de Contrexéville, passé en stage, à Paris, chez Frédéric Anton au Pré Catelan, puis chez Lasserre au temps de Jean-Louis Nomicos,  enfin chez Pierre Gagnaire, avant de rallier Thomas Keller à New York au Per Se, puis de lancer une table à Bergen, en Norvège. Il rayonnait sans nul doute à Lille, au Clarance, mais dans une région en mouvement, avec un nombre important de jeunes tables en  vogue, il faisait déjà, à 36 ans, presque figure de vieux sage. Au Logis de la Cadène, que possède la famille Boüard d’Angelus, dont la cuisine a triplé de surface, il est au fait de son sujet, travaille le produit aquitain avec acuité, usant aussi des légumes de la Ferme1544 qui appartient aussi aux Boüard. Il s’exprime ici sans œillères, livrant des assiettes fines, précises, brillantes, lisibles et toujours savoureuses.

Sébastien Faramond à Pavie GP

Autre nouveauté de haute volée : la transformation de l’ex Hostellerie de Plaisance des Perses, en Hôtel de Pavie et en Table de Pavie, sous le sceau de Yannick Alléno. On promettait les 3 étoiles dans l’ancienne formule à Ronan Kervarrec. On ne va pas faire moins aujourd’hui, alors que la salle a été embellie, la cuisine agrandie, la carte conçue, imaginée, réinventée par le grand Yannick – en hommage aux produits du terroir aquitain avec l’exaltation du végétal et des fermentations – et exécutée avec brio par le fidèle Sébastien Faramond, déjà présent dans la maison, à l’époque de Kervarrec (ce Tarnais d’Albi avait d’ailleurs travaillé avec lui jadis. à la Chèvre d’Or). Tout ce qui se propose, dans ce cadre superbe et sobre, avec sa grande fresque évoquant le village classé au patrimoine par l’UNESCO est d’un haut niveau, mêlant les idées du temps, les techniques modernes, l’usage des fermentations et les références aux racines girondines. Il y a également le service au petit point, le personnel qui explique, raconte, vante, détaille, avec un évident souci pédagogique, pratiquant l’usage du guéridon avec une précision sans faille. le chef d’oeuvre du moment : un oeuf bio poché en surprise qui laisse s’écouler une fois coupé du caviar osciètre de Gironde, le tout flanqué de cresson avec ses croûtons et une sauce dite « modeme » à l’anguille fumée : un plat valant 20/20!

David Charrier aux Belles Perdrix © GP

Troisième grande adresse étoilée qui fait le prix d’un voyage gourmand à Saint-Emilion : les Belles Perdrix de Troplong-Mondot, où officie le chef David Charrier. Ce vendéen de la Roche-sur-Yon, élevé aux Herbiers, est passé au Cayola, qui fut l’étoilé des Sables d’Olonne, a filé en Bretagne, au Clos Vallombreuse à Douarnenez, avant de devenir le second de Patrick Jeffroy à Carantec. Il reviendra un temps dans sa région d’origine chez Thierry Drapeau, le double étoilé du Logis de la Chaboterie, puis chez Jeffroy en Finistère Nord, avant de rallier la Gironde et le Libournais. Au château Troplong-Mondot, à l’enseigne des Belles Perdrix (un club de gourmandes féminines, pendant du club des Cent), dans un beau décor vitré ouvrant sur les vignes, il donne la pleine mesure de son talent qui est grand, aidé par un vaste jardin potager qui lui permet de composer avec les produits d’ici. La maison, qui a fermé près de trois ans pour travaux et a récemment réouvert, vaut incontestablement le détour. Et ses morceaux de bravoure comme le céleri farci et confit aux champignons, avec jus à la livèche, crème tourbée, truffe d’été ou encore la tarte de canard condimentée aux graines de moutarde, beurre d’orange et jus bigarade donnent envie de prendre pension.

 

Les brillants débuts de Manon Fleury chez Datil

Manon Fleury chez Datil © GP

On la suit depuis ses débuts de chef(fe) à Paris au Mermoz. On l’a un peu perdue de vue après son bref passage à Roquebrune-Cap-Martin chez Elsa, face à Monaco, puis sa résidence au Perchoir de Ménilmontant. On ne pouvait manquer l’ouverture de sa première table. En lisière du plateau Beaubourg et à deux pas du musée des Arts des Métiers, dans la très gourmande rue des Gravilliers, Manon Fleury impose d’emblée un style, une manière d’être, de vivre, de penser, de respirer et de nourrir ses semblables avec une élégance et une finesse sans faille. Le cadre, sobre et simple, lui ressemble avec ses trois espaces, dont l’un en couloir sous verrière, l’autre cosy à l’entrée, le dernier face au labo de cuisine apparente. Avec sa complice Laurène Barjhoux, ancienne de l’Arpège, elle compose une partition qui est comme une ode au royaume végétal et à celui des graines (sur lesquelles elle a publié un livre de référence simplement intitulé Céréales chez Flammarion). Cette khâgneuse, dévorée par le démon de la cuisine, ancienne de l’école Ferrandi, par ailleurs chroniqueuse à France Inter pour « On va déguster », se présente, avec force et raison, comme une cheffe militante et engagée. La finesse, la légèreté, le locavore et l’éco-responsable, plus l’engagement des femmes dans un milieu éminemment « macho » : voilà notamment ce qu’on trouve là. L’équipe de cuisine et de salle, très pédagogue, est essentiellement féminine. La carte des vins, présentée avec simplicité et justesse par la malicieuse Valentine Roustit, a de la ressource est se montre abondante en perles méconnues dans tous les vignobles. Bref, c’est l’un des événements gourmands de cet automne à ne manquer. Etoile en vue !

Le couronnement du Moulin à Vent

Théophile Moles au Moulin à Vent © GP

Toute la presse en parle. De quoi ? De l’édition 2023 de nos Trophées Pudlo des Bistrots qui a dévoilé son palmarès le 9 octobre dernier. Notre bistrot de l’année ? Le Moulin à Vent, chef d’oeuvre en péril millésimé 1946, prenant des airs de résurrection. Dépoussiéré par le jeune Théophile Moles, épaulé de Maxime Plateau, ancien de Senderens, aux fourneaux, voilà un joyau d’atmosphère qui a retrouvé  sa superbe, associant classiques comme on les aime, ambiance de QG d’amis, vins choisis et rapport qualité-prix. Ainsi nos amis de Libération qui louent « les magnifiques œufs mayonnaise » ou la » divine profiterole », Stéphane Leblanc dans 20 Minutes notant l’aubaine représentée par cette « belle affaire », Paris Zigzag mentionnant cette « délicieuse poitrine de veau confite 15h et son gratin dauphinois incroyablement bien réussi » ou encore notre confrère Laurent Guez relevant, dans les colonnes du Parisien, « un souffle frais », conquis par le « pantagruélique os à moelle ou cette  » belle côte de bœuf maturée ». Aux côtés de cette heureuse renaissance, se tiennent 6 lauréats à croquer.  Charleyne Valet, notre cheffe de l’année, revisite avec doigté les mets de tradition dans son bistrot théâtre (Le Cyrano) à deux pas de la place Clichy, Luc & Patrick Fracheboud auréolés du prix de la Transmission dans leur Bonne Franquette jouant les mascottes gourmandes de la Butte Montmartre, Benjamin Schmitt faisant brillamment rimer bistrot et gastro chez Hectar, sans oublier le joyeux trio de nos « jeunes bistrotiers de l’année », les frères Dufour – Sébastien et Adrien – et leur associé Charly Laborde, distillant avec malice bonne humeur et cuisine sérieuse dans leur nouveau Paul Chêne de la rue du Cherche-Midi. Au registre de l’art de vivre et de la tradition, c’est l’excellent Nicolas Decatoire qui décroche la palme d’or dans son Gavroche du côté de la Bourse, tandis que le Trophée de l’hospitalité revient, non loin de là, à Chez Georges rue du Mail et son patron Jean-Gabriel de Bueil, qui chouchoute ses clients comme personne et préserve avec soin la belle destinée de son bistrot modèle. 7 Lauréats & 107 adresses à retrouver dans le Petit Pudlo des Bistrots offert à tous.

Les fantaisies néo-coréennes de OMA

Ji-Hye Park © GP

Elle est parisienne depuis près d’un quart de siècle, fut architecte d’intérieur avant de devenir cuisinière et cheffe patronne de OMA rue Rodier dans le 9e. Elle a accepté la proposition du magnat de la brasserie et hôtelier (au Vernet voisin, au Vigny, au Balzac, au Saint-James), Olivier Bertrand, de s’installer dans le nouvel hôtel de luxe et de charme de ce dernier, au 23 rue Vernet, en lisière des Champs-Elysées. Le lieu ne manque pas de chic singulier, designé par le cabinet d’architecte barcelonais Quintana Partners avec sophistication, chaleur et raffinement, donnant le sentiment d’être là dans une maison amie. Le registre ? Coréen, certes, mais avec une tonalité un brin française. Fermentation, piment, condiment, mais aussi crème (et pas seulement dans les délicieux desserts!) se lient pour composer une musique réconfortante. Le nom du lieu (« Oma ») signifie maman en coréen. Et l’exquise Ji-Hye Park montre l’étendue de son talent et de ses idées à travers un menu qui se renouvelle et des mets chatoyants, légers, séducteurs, bien condimentés. L’un de ses jolis couplets : exquis oignons rôtis avec crème de gorgonzola, parmesan, réduction balsamique au miel, pistaches torréfiées. Un lieu et une cheffe à découvrir …

Le duo asiatique tout en délicatesse des 2K

Samantha Kagy et Kimiko Kinoshita © GP

Samantha Kagy et Kimiko Kinoshita sont deux cheffes d’origine asiatique – l’une vietnamienne et l’autre japonaise. Elles se sont rencontrées au Violon d’Ingres avec Christian Constant, puis chez Jacky Ribault à l’Ours de Vincennes. La première est cuisinière, la seconde, pâtissière, a également fait des séjours appliqués au Taillevent et à l’atelier Joël Robuchon Saint-Germain. Voilà qu’elles viennent d’ouvrir leur table  avec modestie dans une rue montante du 9e , rue Louise-Émilie de la Tour d’Auvergne. Cela s’appelle aux 2 K, l’enseigne reprenant leur initiales, il y a là une vingtaine de couverts seulement, un cadre sombre, sans apprêt, avec leurs fauteuils en plastique confortable, un plafond en bois ajouré. Et, en cuisine, la délicatesse, comme les belles idées au fil du marché donnent le ton de ce qui se propose à l’ardoise. On y revient vite.

La cuisine juive new-yorkaise vue par Annabelle Schachmès

Par les temps qui courent, de folie, de guerre, de massacres, d’attentats, et – pourquoi ne pas le dire de recrudescence de l’antisémitisme, son livre sonne comme un hymne à la tolérance, avec des airs de bouteille à mer, de lettre adressée à l’air du temps. Dédié à ses aïeux – grand-parents, mais aussi arrières grands parents – son bel ouvrage ressemble à un devoir de mémoire. Cela s’appelle Cuisine juive à New York, et  Annabelle Schachmès y rassemble ses expériences, la somme de ses voyages, mêlant recettes, anecdotes, souvenirs. Annabelle, nos lecteurs la connaissent bien. On l’a suivie à Londres, on l’a côtoyée, si l’on peut dire, durant le confinement, alors qu’elle rassemblait les recettes des chefs et de ses amis. Elle est surtout  incollable sur la cuisine juive de tous les pays. Elle évoque aujourd’hui la culture juive new-yorkaise comme un melting-pot où se mêlent les souvenirs de toutes les traditions gourmandes d’Europe de l’Est, d’Orient, sans omettre les malices des cuisinières de Brooklyn et Williamsburg. Rien de ce qui concerne les kneidlech (ou « matza bowl soup »), le foie haché (« gehackt leber »), les harengs marinés, la coleslaw salad et le gefilte fish, comme les bagels, le pastrami, les babkas et autres rugelachs ne vous sera étranger après la lecture de son livre illustré de ses splendides photos et les amusants dessins de Nicolas Gallois. Un joli cadeau à offrir à tous!

 

Les chuchotis du lundi : Saint-Emilion capitale gourmande, les brillants débuts de Manon Fleury chez Datil, le couronnement du Moulin à Vent, les fantaisies néo-coréennes de OMA, le duo asiatique tout en délicatesse des 2K, la cuisine juive new-yorkaise vue par Annabelle Schachmès” : 3 avis

  • Oliviéro Yannick

    Vous avez je crois oublié de préciser que l’excellent restaurant OMA se trouve dans les murs de l’Hotel des Fleurs

  • paul

    Il y a quand même un article dans paris Zig Zag.

  • Eric Deprez

    « Toute la presse en parle. De quoi ? De l’édition 2023 de nos Trophées Pudlo des Bistrots qui a dévoilé son palmarès le 9 octobre dernier »

    Euh… Très franchement, non. Toute la presse s’en cogne un peu.

Et vous, qu'en avez-vous pensé ? Donnez-nous votre avis !