Les chuchotis du lundi : Cracovie capitale gourmande, à Riec-sur-Belon Mélanie revit, Mory Sacko en couverture du Time, Emile Cotte fait triompher le style bistrot à Boulogne, Mélissa Amaré la princesse de Rocamadour, à Lyon Brigitte Josserand tire sa révérence

Article du 18 septembre 2023

Cracovie capitale gourmande

Przemyslaw Klima chez Bottigliera 1881 © GP

Elle avait été désignée « capitale européenne de la gastronomie », en 2019, peu avant les deux confinements. Quatre ans plus tard, Cracovie, la Florence polonaise, se révèle au mieux de sa forme, avec notamment le seul deux étoiles de Pologne, Przemyslaw Klima, qui tient table ouverte dans Kazimierz, l’ancien quartier juif de Cracovie, dont il est devenu le cuisinier emblématique. Cet ancien stagiaire de Noma à Copenhague, a oeuvré chez Senses puis à l’Atelier Amaro de Varsovie, où il fut sous-chef durant près de trois ans. Il travaille, ici, dans une ancienne oenothèque dédiée aux vins du monde notamment italiens (d’où son nom Bottigliera 1881), le produit polonais en finesse et joliesse avec une redoutable précision. Reste qu’il n’est pas seul à jouer la cuisine fine, lucide, créative, avec talent et finesse dans Cracovie. Des tables raffinées comme Szara Gęś (l’Oie Grise), au beau décor médiévalisant sur la place du si typique  Grand Marché (Ryneck Glöwny), Filipa 18, dans l’hôtel Indigo, où officie le malicieux Marcin Soltys, ancien stagiaire de Paul Bocuse et Jacques Lameloise, le Copernicus, Relais & Châteaux historique, au pied du château royal (le Wawel) et son chef doué, le discret Krzysztof Was, ou encore le très « undergound » Concept 13 avec les fantaisies italo-franco-polonaise du rigoureux Thomasz Chomow valent tous l’étape et la découverte. La « streetfood » est également à l’honneur, avec le « Judah Foodcourt » dans Kazimierz, comme la tradition polonaise respectée, avec ses fameux « gulabki » (chou farci), « zurek (la soupe aigre à la farine de seigle fermenté) ou encore « bigos » (la choucroute nationale) chez le délicieux Pod Baranem. Bref, on croyait visiter Cracovie pour ses merveilles architecturales baroques et renaissance. Et voilà qu’on y retourne pour sa gourmandise tout azimut!

Marcin Soltys chez Filipa 18 © GP

A Riec-sur-Belon, Mélanie revit

Laura Martinon et Jean-Baptiste Caillarec © GP

« Couronnons de lis et de roses Mélanie, Marie, et tout ce qu’elles font. /La cuisine c’est quand les choses ont le goût de ce qu’elles sont » : on connaît les mots célèbres de Curnonsky qui passa ici une bonne partie de la guerre et même un peu plus (de 1940 à 1946), dans cette maison qu’il découvre dès les années 1920. Quand Paris occupé souffre de la faim et/où se livre au « marché noir », le prince des gastronome, pensionnaire chez Mélanie Rouat à Riec-sur-Belon, se régale d’huîtres du Belon, de palourdes farcies  et de homard à la crème. Il fera beaucoup pour prolonger la gloire de cette cuisinière hors pair, reine de la fraîcheur et de simplicité, couronnée d’une étoile dès 1932, puis de deux en 1934. Sa fille Marie avait repris la demeure après la disparition de cette dernière en 1955. La maison conservera deux puis un macaron avant de changer plusieurs fois de gérant et de fermer ses portes dans les années 1980. La mairie de Riec-sur-Belon la rachète pour la reconstruire et la transformer en centre culturel. Le miracle du moment? L’ouverture de l’Atelier de Mélanie, qui lui rend hommage sous la gouverne de son arrière-petit-neveu, Jean-Baptiste Caillarec et de sa compagne Laura Martinon, trentenaires dynamiques et enthousiastes, qui ont tous deux travaillé dans de grandes maisons (comme la Voile d’Or de Saint-Jean-Cap-Ferrat, le Bayview et le Mandarin-Oriental à Genève) et ont investi l’ancienne école du bourg. A leur programme : trois menus, à 25€ au déjeuner, mais 38 € dit l’Atelier avec ses plats nouvelle vague (vitello tonnato, mulet au sésame, pommes caramélisées) et 80 € dit l’Intemporel, qui rend hommage aux grands plats de Mélanie, avec les palourdes farcies, les huitres du voisin Cadoret et le fameux homard à la crème au riz pilaf, avant la glace pruneau/armagnac et le flan d’avoine déstructuré. Une résurrection. !

Curnonsky chez Mélanie par M. Asselin (1933)

Mory Sacko en couverture du Time

Il est  le 3e chef français à faire la une du Time ! Jusqu’ici le magazine américain n’avait accordé sa « cover » qu’à Michel Guérard, roi de la cuisine minceur, en 1976, et, Alain Ducasse, le « gobe trotter« , en 2001. Cette fois-ci, parrainé par Omar Sy qui le suit depuis ses débuts, c’est au tour de Mory Sacko, une seule étoile chez Michelin, mais déjà une émission de télé et une cuisine vibrante qui mixe les influences africaines, françaises et japonaises, plus une personnalité hors du commun et un physique de mannequin géant et souriant, de conquérir le monde. L’ancien élève de Thierry Marx au Mandarin Oriental, qui fut un souriant candidat Top Chef, fait en tout cas partie des cent personnalités qui changent le monde. « Franchement, c’est le genre de choses qui n’arrivent qu’une fois dans une vie, et encore … », a noté, ravi, sur son compte « insta » le délicieux Mory. Bravo à lui!

Emile Cotte fait triompher le style bistrot à Boulogne

Emile Cotte à Boulogne © GP

Il bouleverse Boulogne-Billancourt, a racheté la demeure de Jean Chauvel, créant, en sus de son Baca’v de la rue des Fossés Saint-Marcel, une enseigne identique mais qui triple ses possibilités d’accueil. Le lieu est moderne, la cuisine possède la taille de son bistrot du 5e. Il y a là une cave à manger avec sa grande table d’hôte. Reste qu’Emile Cotte ne change pas. Le mantra de ce natif de Limoges demeure : « En Limousin, on n’a pas de caviar, mais on a des châtaignes », faisant sienne la formule d’Antoine Blondin, devenue sa devise. Formé au Pré Catelan, aux côtés de Frédéric Anton, passé chez Guy Savoy, au Taillevent avec Alain Solivérès, chef au Meating avenue de Villiers, puis de l’Angle du Faubourg, des 110 du Taillevent, à Paris et Londres, dépêché chez Drouant par les Gardinier pour faire revivre la maison des Goncourt et lui redonner du sens, Emile Cotte n’a jamais oublié ses racines. C’est avec de belles idées à lui, des produits bien sourcés, un exceptionnel pâté en croûte qu’il  fait saliver les Boulonnais. Comme ses escargots bios du Limousin, sa « gridoulle » (une délicate andouille) cuite à la plancha, servie avec purée de pommes de terre exquise et piment d’Espelette, plus un île flottante qui font du menu à 39 € une fête de choix à l’excellent rapport qualité-prix!

Mélissa Amaré, la princesse de Rocamadour

Mélissa Amaré et son père Pierre © GP

Elle est la nouvelle cheffe en vogue du Lot. Ex-stagiaire au Moulin de Brantôme, chez Gilles Marre au Balandre à Cahors et chez Alain Ducasse à l’Abbaye de la Celle dans le Var, Mélissa Amaré, qui incarne la 3e génération ici même, a repris les fourneaux de la maison familiale, le Bellevue, dans le quartier de l’Hospitalet, qui surplombe Rocamadour, qui constitue le Mont Saint-Michel du Lot. Si la maison mérite son nom et si le panorama est d’exception,  les assiettes de Mélissa valent également le coup d’oeil et le détour. Pierre Amaré, le père, mitonne de savants et délicieux cocktails, mais assure aussi le service des vins avec compétence, relayé en salle par son aînée Laure, qui a travaillé, elle, au Trois Soleils de Montal à Saint-Céré ainsi qu’à l’Imaginaire à Terrasson-Lavilledieu. Parmi les bons tours de Mélissa, le foie gras de canard  – le mi-cuit et le poêlé – avec son condiment raisin au floc de Gascogne ou le gigot d’agneau du Quercy, avec sa tartine d’aubergine et sa purée d’ail rose de Lautrec, séduisent dans le droit fil de la tradition lotoise, tout en renouvelant l’esprit de cette dernière.

A Lyon, Brigitte Josserand tire sa révérence

Benoît et Brigitte Josserand au Jura © MR

A Lyon, c’est une révolution : la dernière « mère » de la ville raccroche et rend son tablier. Brigitte Josserand, maîtresse durant quatre décennies, dans son Café du Jura devenu la Rolls des bouchons, avec ses vitres  de verre gravé, ses banquettes de moleskine, son long comptoir, son sol en mosaïques, ses vins du Bugey, du Beaujolais et de la vallée du Rhône vantés avec verve par son fiston Benoît, sans omettre ses plats emblématiques (tablier de sapeur sauce Choron, gâteau de foies de volaille, tête de veau « Hélène Neveu », tarte aux pralines), a imposé un style, une image, une rigueur. Elle prend donc sa retraite, et Benoît désirant se consacrer à d’autres projets, elle revend sa maison au duo  – Daniel Mouton et Edouard Baudin – qui tient le Val d’Isère, bouchon fameux, car il fut le QG de Paul Bocuse, tôt le matin, rue de Bonnel, face au marché qui porte désormais le nom du chef de Collonges. Bonne chance au nouveau duo!

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