Hameau Albert Ier

Les Carrier? Une saga savoyarde qui débute à l’aube du XXe siècle et continue de plus belle au début du XXIe. L’arrière-grand-père Joseph Carrier créa la pension du Chemin de Fer en 1910. Le grand-père François-Joseph rebaptisa l’hôtel Albert Ier, en souvenir de la présence ici du roi des Belges, alpiniste chevronné et habitué de la demeure, qui appréciait la sage cuisine de la grand-mère Clotilde. Enfin, Marcel Carrier, le père, qui  prit le relais des fourneaux, obtient l’étoile en 1967. Mais c’est Pierre, savoyard cœur fidèle, entrepreneur, qui donne sa gloire à la demeure : s’il perd l’étoile en 1983, il la regagne dès 1985, en obtient une deuxième en 1999.

Il a transformé, entre temps, la demeure familiale en «hameau» revoyant la pension d’autrefois en hôtel design, ajoutant une ferme modèle,  avec spa, table rustique (« la Maison Carrier »), amusante salle des guides (le « pelle »), haute cheminée où l’on fait sécher saucissons et jambons (sur le modèle des « tuyés » comtois) – on s’y régale d’assiettes « tout cochon », de quenelle de brochet à tomber par terre et de subtil carré d’agneau au foin, le tout soldé à prix d’amis. Bref, l’univers Carrier est complet.

Mais Pierre, quinqua et sage, a soin de prolonger l’héritage et de revendiquer la tradition. Sa fille Perrine est aujourd’hui à la réception et son genre Pierre Maillet, natif de Mazamet, formé chez Ducasse au Louis XV, présent ici depuis près de douze ans, le relaye en cuisine avec efficacité et sans changer de style. Si bien que jamais la « tradition Carrier » ne s’est si bien portée. La Savoie, son grand air, ses saveurs nettes, fraîches, terriennes : voilà ce que les Carrier-Maillet proposent pour une salle réduite en nombre, mais heureuse de vivre un moment d’exception.

Potiron, truffe et lard, avec sa brioche toastée aux pieds de cochon, truite moelleuse mi-fumée, sur une poitrine de porc fondante, île flottante à la truffe et bouillon de racines ou risotto à la truffe d’Alba, clin d’œil au proche Piémont  vous attendent là, avec le service amical et complice gouverné par Serge Ratton, escortés de vins ad hoc, choisis par l’expert Christian Martray (ermitage blanc du Valais de Gérald Besse, rouge torrette supérieur aux nez de griotte de la famille Rini en Val d’Aoste, insolite cornalin de Charles-André Lamon à Flanthey près de Sierre).

Il y a encore le lièvre à la royale, comme un brillant exercice classique en légèreté, un plateau de fromages de montagnes digne de tous les massifs, un soufflé à la chartreuse avec sa glace et un chariot de desserts indiquant que la tradition pâtissière (ah, ce succès avec sa crème mousseline !) a encore du bon. Bref, une demeure dont l’esprit se prolonge et qui, comme le proche Mont Blanc, s’affirme avec force au sommet des Alpes.

La maison est amicale, le service complice, la Savoie fêtée dans ses grandes largeurs. On a toujours un petit coup de coeur quand on pénètre dans la salle à manger, modeste en apparente, de la Maison Carrier qui ressemble à un chalet d’autrefois. Et l’on garde en mémoire un service de fromages exceptionnel. Bref, si on aime la Savoie, impossible de ne pas aimer toutes les facettes de cette maison hors norme, qui joue à la fois les Relais & Châteaux bonhomme, les auberges de toujours, les chalets modernes, sans jamais déraper dans l’un ou l’autre style campé avec ferveur.