Oui, Mon Général !
« Le Bistrot du Mois – Paris 7e : la joie de vivre de Oui, mon général! »
Cela ressemble à une vaste brasserie d’angle, au coeur du quartier des ministères, juste derrière l’institut des aveugles dédié à Valentin Haüy. C’est un lieu joyeux, drôle, qui balance entre troquet moderne et café à l’ancienne, avec ses vitrines et casiers, sa desserte, sa terrasse, ses tables nombreuses. On peut nourrir là 80 couverts, sans ciller. Bien sûr, il peut y avoir un ratage ou une table oubliée (la dernière fois, c’était là nôtre), le service est inégal, avec la délicieuse Luna, qui sourit et rattrape les bévues de ses collègues, l’homme de salle Nicolas Bessière qui colmate les brèches ici et là et fait face comme il peut au succès maison.
Et, en cuisine, le penseur du genre bistrot, Stéphane Reynaud, auteur de « Ripailles » et « Bistrotier », joue admirablement des airs modernes et drôles, suaves et bons, avec des produits d’exception et des plats qui détonnent et ne sont pas toujours où on les attend. Des exemples de ce qui vous attend là ? Ces splendides anchois marinés au goût fumé à l’huile de romarin et pommes vertes, cet oeuf mayo bio à l’ail des ours, ce croustillant de tête de veau, avec sa « gribiche qui biche », magnifique de goût, de croquant et de sapidité, proposé en hors d’oeuvre alors que les splendides asperges blanches des Landes au beurre d’ail, lard grillé et œuf parfait trônent là en guise de plat « léger ».
Tout ici se partage, se goûte avec plaisir, charcuteries choisies à bonne source, saucisson sec de Saint-Agrève en Ardèche, terrine de campagne faite maison ou, légendaire pâté en croûte, chorizo Bellota sur le thème de « ce qui est bon, c’est le gras« . On ne plaisante pas avec la viande, ainsi ce remarquable coeur d’entrecôte d’Argentine bien maturé, proposé saignant, relevé d’une crème au poivre de Kompot frais, flanqué d’un bol de frites maison à la fois croustillantes et moelleuses. Et il y a encore le poulet frit au cantal « sauce kipic », la côte de veau au jus d’ail noir, l’épigramme d’agneau en cuisson lente avec sa purée aux herbes.
La carte des vins est un livre d’heures qui impressionne, avec ses grands flacons de prestige à prix astronomiques (Pétrus, la Conseillante, côté pomerol de haute tenue) et ses belles et bonnes affaires à saisir, comme ce splendide madiran du domaine Labranche-Laffont de la grande Christine Dupuy vendu là moins de 30 €, ce sangiovese du Gard du Mas du Chêne, signé Emmanuelle Delon et Luc Vignal, servi au verre et qui constitue « la » cuvée rouge maison, aussi fruitée qu’en Toscane, comme ce vif sancerre blanc du domaine Naudet, qui fait une mise en bouche de classe à prix doux.
Les desserts, eux, ne déçoivent guère, comme cette superbe crème brûlée à la rhubarbe si joliment acidulée, ce chocolat Valrhona avec crème anglaise à la pistache et frais ou encore cette riche et craquante pavlova meringuée aux fruits rouges à retomber en enfance. Au moment de la note, on vous offre une dégustation comparée des beaux armagnacs de la collection maison. Ne la loupez pas, c’est le grand moment maison qui exprime sa générosité vraie, son naturel.
Ainsi le château le Courréjot en version Ténarèze signé Patrick Giacosa en 1993 d’une belle fraîcheur, le même en version « brut de fût », à plus de 53°, en 2000, avec son nez de banane et de rhum, proche cousin du rhum ou encore l’élégant bas armagnac de Dartigalongue 2002, qui offre là tout ce qu’on aime: de la finesse, de la fraîcheur, même avec des notes rustiques et même rustaudes, très boisées en fin de bouche. Deux bonnes nouvelles : la maison sert à boire et à grignoter toute la journée « tant qu’il y a de la lumière » et ouvre tous les jours – sauf le dimanche soir. Vive ce Général gourmand!