Les chuchotis du lundi : un confinement contesté, le Michelin dans la tourmente, Sylvestre Wahid revient à Couchevel, Michel Guérard se souvient, raconte et prévoit, Adrien Descouls prend de la hauteur, Serge Vieira au sommet, Adieu à Eventhia Senderens
Un confinement contesté
5 minutes après l’intervention du président de la République demandant, jeudi soir, la fermeture des « commerces non essentiels« , Stéphane Jego de l’Ami Jean réagissait sur son compte instagram, avec la photo de son établissement barré de ces mots « non essentiel », suivi d’un long message de révolte et d’espoir: « Les commerces non essentiels sont fermés à partir de vendredi pendant au moins quatre semaines. C’est une OPA sur les indépendants. Au-delà du monde de la restauration, qui est essentiel ou non essentiel ? Carrefour ? Auchan ? Quid de l’épicerie fine ? Du cordonnier ? Lors de la première vague, les grandes enseignes ont profité de la fermeture des commerces dits non essentiels. De quoi racheter les baux commerciaux pour préparer un monde homogène, gouverné par les multinationales. L’allocution fait mention d’une nation unie et solidaire (une nation à qui nous, commerces indépendants continuons de payer des charges malgré la fermeture). D’une aide « allant jusqu’à 10 000 euros » par mois pour les pertes d’exploitation. À tous les Teletubbies qui nous pointent du doigt en s’exclamant : « Les restaurateurs s’en mettent plein les poches » : L’Ami Jean perd 180.000 € par mois. Parce que nous avons fait le choix de rester indépendant. De nous fournir chez des artisans indépendants. Et de payer correctement nos salariés. Alors, oui, nous nous battrons. Mais nous comptons aussi sur vous pour vous battre et faire le choix du monde dans lequel vous voulez vivre demain. » Michel Sarran l’avait dit, juste avant lui, en demandant à Jean Castex de préserver les restaurants et d’éviter la fermeture : « on demande aux restaurateurs d’être parfaits, d’observer les normes d’hygiène, les distances, de réduire le nombre de couverts, de mettre des parois en plastique, d’user du gel hydraulique, de bannir les cartes écrites, d’imposer le traçage de la clientèle. Et après, on nous demande de fermer ». Notant, que nul part ailleurs qu’au restaurant les normes d’hygiène ne sont ainsi respectées. Soulignant ainsi que fermer les restaurants en temps de pandémie n’est ni plus ni moins qu’une absurdité. Et Philippe Etchebest de renchérir sur le mode de « attention, c’est notre mort que l’on cherche« . Jeudi soir et vendredi, beaucoup de restaurateurs (de Gérald Passédat à Jean-François Piège, d’Hélène Darroze à Christophe Bacquié) ont tenté de faire bonne figure, de dire au-revoir et non adieu à leurs clients, faisant, comme dit l’adage, « contre mauvaise fortune bon coeur« . Reste que la pilule est difficile à avaler. Qu’un reconfinement soit nécessaire avec l’explosion de la pandémie, certes, mais que les restaurateurs soient condamnés à refermer, est-ce vraiment utile et nécessaire. Qui en est réellement convaincu?
Le Michelin dans la tourmente
Le 30 octobre, soit au lendemain du message d’Emmanuel Macron à l’Elysée, Gwendal Poullennec adressait, sur un ton compatissant, un message, disponible en vidéo, aux restaurateurs, avec des accents churchilliens et macroniens, pour leur assurer que les équipes du Michelin étaient de tout cœur avec eux, afin de relayer leurs initiatives et de les soutenir dans leur malheur. Il s’inventait ainsi un nouveau rôle de missionnaire au service de tous, de bon apôtre, de copain universel, d’abbé Pierre des chefs, faisant oublier qu’il était, il y a peu encore, ce père fouettard bienveillant qui détrônait la maison Bocuse à Collonges, provoquait les larmes de l’Auberge de l’Ill à Illhaeusern et de toute l’Alsace, déchaînait la fureur de Marc Veyrat, assurant l’incompréhension des Bras, réintégrés l’an passé au guide rouge malgré eux, avec deux étoiles au lieu de trois, et celle, silencieuse, de l’Astrance de Pascal Barbot, l’ironie d’Alain Dutournier (déboulonné au Carré des Feuillants et au Trou Gascon), jouant au yoyo avec les étoiles du Lion d’Or à Romorantin et des Mosconi à Luxembourg. Bref, il n’était plus, désormais, le faiseur et le défaiseur d’étoiles qui prenait soin d’annoncer aux uns et aux autres leur disgrâce la veille de la parution du guide, mais le juste héraut de l’harmonie universelle. Pendant ce temps, de nombreuses maisons fameuses ont soit rendu leurs étoiles (Saquana à Honfleur, Gill à Rouen), soit carrément fermé pour ne plus réouvrir (l’Abeille au Shangri-La et Sylvestre chez Thoumieux à Paris), soit – et c’est le cas de la plupart des 3 étoiles parisiens – n’ont pas réouvert depuis la mi-mars en attendant des jours meilleurs. Dans ces conditions, comment sortir une « sélection Michelin 2021 » valable et crédible le 18 janvier prochain? Certes, l’annonce du grand lancement prévu à Cognac a été reportée d’un an. Mais le guide rouge France lui même peut-il paraître en janvier prochain ? Rien n’est moins sûr…
Sylvestre Wahid revient à Couchevel
Il promet de revenir à Paris côté 8e arrondissement, où sa nouvelle table est actuellement en construction, s’annonce l’été prochain en Provence, du côté des Alpilles, et signe son grand retour le 11 décembre, si tout va bien, à Courchevel, à l’Hôtel des Grandes Alpes 1850, selon une formule de location-gérance, dans un écrin signé Tristan Auer. Après cinq ans à Paris, à l’hôtel Thoumieux, où il avait d’emblée décroché les deux étoiles, Sylvestre Wahid aligne ses projets avec un bel optimisme. « On ne peut pas rester à ne rien faire, durant cette période difficile », assure-t-il. Et il le démontre ainsi avec brio. Lui, qui fut le chef de Jean-André Charial à l’Oustau de Baumanière des Baux de Provence mais aussi au Strato à Courchevel 1850, revient sur des terres qu’il connaît bien. Aux Grandes Alpes, une table privée avec une cuisine ouverte sur la salle pourra servir de 8 à 20 couverts, pour une expérience de gastronomie exclusive et sur-mesure. Lui qui se définit volontiers comme un « aubergiste moderne », faisant se combiner création et plaisir, sera pleinement chez lui.
Michel Guérard se souvient, raconte et prévoit
Qu’il soit « la mémoire de la cuisine française », on s’en doutait un peu. Michel Guérard, 87 ans et toujours la « gniaque« , publie ce titre, un ouvrage où il raconte sa vie, son métier, ses espoirs à Benoit Peeters, scénariste de BD et amoureux des bonnes tables. Des débuts à Vétheuil au Pot au Feu à Asnières, de l’éclosion de la Nouvelle Cuisine aux voyages aux USA, avec Paul Bocuse (et Danny Kaye), et en Chine, de la rencontre avec Christine Barthélémy aux débuts de la cuisine minceur, d’Eugénie-les-Bains, le bouillonnant Michel dit tout, s’exprime avec franchise, adresse un coup de chapeau à Ferran Adria, en expliquant que toute cuisine est forcément moléculaire. Chemin faisant, avec la grâce d’un homme libre, il ouvre les yeux sur l’avenir, au delà de la pandémie : « personne, note-t-il, ne peut laisser une fortune tous les jours au restaurant. Ni passer quatre heures à table. On peut s’interroger sur l’avenir de la haute cuisine (…) Nous avons intérêt, pour continuer d’exister, à sans cesse créer, en nous surpassent, mais aussi à nous renouveler dans les modèles économiques. La crise sanitaire va accélérer cette évolution. Certains sont dans une situation terrible, notamment parmi les tables parisiennes qui dépendent largement des touristes ».
Adrien Descouls prend de la hauteur
Le lieu est magique, offrant depuis la grande salle panoramique et vitrée, une vue splendide sur le paysage de l’Auvergne en majesté, la verte chaîne des puys, le voisin château fort du Broc, le proche village médiéval aux abords d’Issoire. Adrien Descouls, jeune et dynamique trentenaire, ex concurrent Top Chef, qui a travaillé notamment à Lezoux au château de Codignat, chez Têtedoie à Lyon, au George V à Paris avec Eric Briffard et Christian Le Squer, a investi bravement dans cet OVNI qui cousine, avec son armature de fer rouillé se mariant au béton, mais aussi à la pierre ancienne, avec le Couffour de Serge Vieira (son architecte est le même). La démarche, celle du cheminement sur les sentes d’Auvergne, ramassant herbes et produits d’ici, cousine encore avec celle des Bras et des Marcon, dont Adrien Descouls apparaît comme un petit cousin fidèle. De fait, tout ce qu’il propose, dans un cadre qui colle avec le paysage, non sans grandeur, n’est pas indigne de ces grandes références, fondatrices d’une nouvelle cuisine du Massif Central et de ses lisières. Un « futur grand » à suivre!
Serge Vieira au sommet
Il est l’homme des hauteurs, le deux étoiles de Chaudes Aigues, installé depuis une décennie dans le château de Couffour, avec ses armatures de fer oxydé, son béton, ses salles magiques et panoramiques, sa neuve terrasse avec sa pergola, sa vue grand angle sur le paysage du Cantal en majesté. Voisin des Bras, à 20 km de Laguiole, ancien second de Régis Marcon, sous la férule duquel il remporta le Bocuse d’Or en 2005, Serge Vieira est devenu l’un des prétendants les plus sérieux à la 3e étoile. Le cadre, le service, l’accueil de Marie-Aude, les deux deux menus symphoniques qui laissent place à l’émotion, tout en faisant la part belle aux racines, racontent une Auvergne moderne qui a le sens du voyage. Son merveilleux agneau allaiton de la maison Greffeuille, avec butternut et berlingots au raifort et jus tranché donne envie d’accomplir le voyage à Chaudes-Aigues juste pour le plaisir de la découverte.
Adieu à Eventhia Senderens
D’Alain Senderens, elle était la bonne fée, son double, sa seconde épouse, mais son complément parfait. Elle le calmait, l’apaisait, lui le grand stressé, elle, la gente hôtesse, vêtue de Chanel, toujours douée d’humour. Elle avait rédigé avec lui, avec la complicité de son ami Claude Lebey, les recettes des tous petits et la cuisine réussie,-. Avec ses allures minaudantes et son prénom de déesse grecque, on la croyait hautaine, alors qu’elle n’était que charme et douceur. Elle aidait Alain à réaliser les accords mets/vins qui allaient tant faire parler de lui. Aux premiers temps de leur installation chez Lucas Carton, place de la Madeleine, j’avais la chance, alors jeune journaliste à Cuisine et Vins de France, d’être leur voisin immédiat rue Boissy d’Anglas. « Viens manger un morceau », me glissait Eventhia. Et c’était toujours une expérience formidable, de goûter le homard à la vanille, le foie gras chaud aux choux, les ravioli de pétoncles sans omettre ces petits navets farcis au cidre au carpaccio de canard Eventhia qui lui étaient dédiés ou encore le canard Apicius rôti au miel et aux épices avec une coulée de Serrant, un meursault des comtes Lafon, un pinot gris de Madame Faller, un banyuls du Dr Parcé, comme si l’ordinaire ici avait les couleurs de l’exception. Eventhia, si attachée à son plateau de Millevaches et à la Corrèze, sous ses dehors de parisienne à la Kiraz, vient de nous quitter à 75 ans. Elle rejoint le grand Alain, son mari, son compagnon, son complice. Allez, on vous embrasse tous les deux, pour l’éternité.
Michel Guérard c’est le plus grand, c’est lui qui a ouvert la voie à toute une génération… un très grand Monsieur qui su rester humble.
oui excellente idée Gilles pour tes mémoires… mais à mon avis te connaissant, tu dois être entrain de travailler sur le sujet… surtout de l’authentique, que du vécu surtout pas de langue de bois… la vérité rien que la vérité on achète de suite…
un petit mot sur le décès de jean pierre crouzil ne serait pas superflu
Courchevel c’est mort cet hiver pas d’étrangers pas de clients!!
Mon cher Pudlo, est-ce que vous avez l’intention d’écrire vos mémoires ? Il me semble que vous devriez absolument le faire et nous livrer une tranche d’histoire de la cuisine contemporaine, aussi savoureuse qu’intéressante. Les témoins de votre acabit se font de plus en plus rares.
J’ai beaucoup apprécié votre commentaire sur le guide Michelin.
Cela fait des mois que mon mari et moi nous posons la question suivante : sur quels critères ce guide va-t-il se baser pour ôter ou attribuer des étoiles étant donné que les restaurants n’ont pas été ouverts toute l’année 2020.
Quant à Bocuse, l’Auberge de l’Ill, je suis plutôt d’accord avec leur décision. Un moment donné, il faut savoir se renouveler, ce qu’ils, à notre avis, n’ont pas su faire.
Quand nous voyons des chefs se décarcasser pour proposer des plats différents chaque semaine ou presque, proposer des associations insolites, des mets travaillés, nous ne comprenons pas pourquoi ils n’ont pas d’étoile ou stagnent à une, deux étoiles. Nous ne citerons pas de nom, mais nous pensons à beaucoup d’entre eux chez qui nous avons dîné.