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Pour saluer Michel Déon

Article du 29 décembre 2016
Michel Déon vu par Maurice Rougemont ©

Michel Déon vu par Maurice Rougemont ©

Michel Déon vient nous quitter. Il avait 96 ans. Je me souviens de mille choses le concernant et me touchant, une rencontre dans son « Old Rectory » de Tynagh dans le County Galway, une relecture de ses « Pages Grecques » qui nous donnent (ou donnaient) rendez-vous entre Spetsai et Patmos. Plus que vous livrer là une énième nécrologie de ce vieux « jeune homme vert » qui demeure si vivant, avec ses élégances en tweed, je bois ce soir un verre d’eau de vie de coing de Cathy Faller à sa santé (pour lui, ç’aurait été une vodka glacée comme il se doit). Et je retrouve, avec toutes ses annotations l’un de mes derniers papiers écrits sur lui, jadis, pour le Point, à l’occasion du Spécial Déon de l’Herne. Cela s’appelait: Déon l’enchanteur désenchanté. Et le chapeau du texte prévenait: « Des chroniques, un journal intime, un cahier de l’Herne mettent en lumière l’auteur du « Taxi Mauve ». Plus que jamais actuel. »

lhernedeon

Il porte ses 90 ans avec l’élégance d’un gentleman-farmer qui se rie des modes. Son régime : vodkas et cigarillos. Mais aussi des chevaux et du grand air. Lui qui mit à la mode les îles grecques, tint balcon à Spetsai, avant de donner rendez-vous à Patmos, en se gaussant du grand tourisme qui allait changer la donne du voyageur, mit toujours une mer entre Paris et lui. On le chercha jadis à Sintra, au Portugal, avant d’aller en pèlerinage vers son Old Rectory de Tynagh, dans le County Galway.
Déon ? Un professeur de sagesse, avare de conseils, mais non de belles histoires. « Les Poneys Sauvages », qui contait une génération perdue, entre Guerre Froide et événements d’Algérie, puis « Un Taxi Mauve », qui fit autant pour la connaissance de l’Irlande que la sienne, furent des livres de chevet renouvelés. Barry Roots (qui évoquait l’affaire Philby et les agents de l’Intelligence Service ralliés au KGB) et le journaliste Georges Saval, comme le monstrueux Taubelman et le généreux Dr Scully, qu’incarnèrent à l’écran, Peter Ustinov et Fred Astaire, furent, eux, des compagnons désirables. Il y a toujours encore, chez Déon, ce narrateur secret, qu’on vit avec les traits de Noiret dans le film de Boisset. Qui parle d’une voix ferme en édictant des préceptes secs, jamais austères.
Voilà qu’une actualité Déon le met en lumière à travers trois ouvrages délicieux. Un recueil de chroniques, d’abord, Lettres de Château, consacré à ses écrivains et peintres de prédilection, donne envie d’être lu et relu, comme on tourna et retourna jadis les pages de « Mes Arches de Noé ». Stendhal le milanais y donne la main à Toulet, prince d’Arles (« il appartient à la merveilleuse secte des écrivains dits mineurs »), Giono lorgne sur les toits de Manosque, Braque donne de la couleur à Varengeville sous les embruns, Conrad, Larbaud, Manet, Poussin, Morand évoquent d’autres voyages. Le texte sur Apollinaire, qui aurait pu être son voisin, boulevard St Germain, est une ode délicate au Mal Aimé et à ses amoureuses, Lou, Madeleine ou Marie Laurencin.

Pour saluer Michel Déon
Que dire ? Sinon que Déon, l’enchanteur désenchanté, s’y livre entre les lignes. On le retrouve tout entier, drôle, chaleureux, tonique, fraternel, volontaire et grinçant quand il s’en prend à ses confrères académiciens (tel Leprince-Ringuet devenu Lecomte-Ringard). Ses portraits d’Eva Peron à St Moritz et d’Edwige Feuillère à Venise sont des moments de grâce. Drôlerie, ironie, vacherie plus que tendresse naïve : le hussard est bien là, même si l’étiquette est réductrice.
Il y a là encore des rosseries contre Mauriac ou Vailland, la défense de ses pairs et de ses cadets (il se fait l’avocat d’Emmanuel Carrère et de Laurence Cossé à la commission du roman de l’Académie). De jolies pages sur la Grèce (« Ce pays m’est entré à jamais dans la peau. Il me fait penser à ces femmes trop belles pour qu’on leur reproche leur bêtise et leur exigence. Envie de lui dire : sois belle et tais-toi »). Plus des narrations de dîners en ville, indiquant que Déon n’est guère dupe de la comédie littéraire.
Pour mieux le cerner encore, le Cahier de l’Herne, mis au point avec ferveur par Laurence Tacou tombe à pic. Les textes de Déon, épars, méconnus, inédits, les hommages des amis (Chardonne, Morand, Marceau, Vandromme) ou des disciples (Neuhoff, Carrère, Frébourg, Besson, notre Patrick), certains inattendus (le Général Challe, Milan Kundera) donnent envie de relire toute l’œuvre. Depuis l’introuvable « Adieux à Sheila » jusqu’aux aventures picaresques du « Jeune Homme Vert » ou au méconnu et admirable « Je vous écris d’Italie ». Le mot de la fin à Jean d’O., l’un de ses plus vieux compagnons : « Il y a du Stendhal chez Déon. Il y aussi du Bogart (…) Une chasse au bonheur tempérée par la fascination de la solitude (…) C’est un épicurien moderne sans cesse au bord des larmes ».
Ajoutons, in fine, qu’on a tous en nous quelque chose de Michel Déon et que chacun possède son Déon fétiche. Ou ses quelques pages grappillées ici et là (telle l’évocation de l’été au Cap-Ferrat, dans « Mes Arches de Noé ») qui valent l’œuvre entière d’un autre.

Pour saluer Michel Déon

Lettres de Château, de Michel Déon (Gallimard, 166 pages, 15,90 €).
Journal 1947-1983, de Michel Déon (L’Herne, 139 pages, 12 €).
Cahier de l’Herne Michel Déon (272 pages, 39 €).

A propos de cet article

Publié le 29 décembre 2016 par

Pour saluer Michel Déon” : 4 avis

  • Monique

    Merci pour votre très bel article. Michel Déon, je l’ai connu depuis 25 ans, j’ai eu la chance de me rendre trois fois à Tynagh chez lui, en Irlande.
    Tous les souvenirs sont présents dans ma mémoire, toutes les lettres qu’il m’a écrites, je les ai gardées.
    Il va nous manquer, il nous manque déjà.
    Je vous écris aussi pour savoir si je peux mettre vos photos de Michel sur mon site web, si vous pouviez me répondre sur mon mail…merci

  • Pour partir à l’assaut des horizons, plonger dans la littérature de Déon : http://acrostweet.blogspot.fr/2016/12/deon-michel.html?view=mosaic

  • Gantie

    Cher Gilles,

    Il fallait en effet saluer Michel Déon, qui se retire à un bel âge, parti sur d’autres terres, qu’il nous racontera bientôt.

    Le style, la culture, l’élégance, l’humour, la vodka, la Grèce, l’Irlande et bien d’autres horizons – un peu moins l’Académie – l’ont conservé en « Jeune homme vert » et – inévitablement – en « hussard ».
    J’ai bien sûr ce Cahier de L’Herne et je conserve en mémoire les moments, percutants et drôles, partagés et « arrosés » avec lui, Franz Olivier Giesbert, Patrick Besson, Eric Neuhoff, Raoul Mille, Denis Tillinac, Patrick Poivre d’Arvor, Dominique Bona, Frédéric Beigbeder… au sein du jury du Prix Madeleine Zepter de littérature.
    En parallèle, d’autres moments délicieux en tant que juré du Prix Jacques Audiberti, à Antibes, dont il était, avec Pierre Joannon, un président-fondateur aux choix incontestables (Lawrence Durrell, Pietro Citati, Jacques Lacarrière, Arraball, Albert Cossery, Oriana Fallaci..) et incontestés pendant dix-sept ans.

    Tweed attitude en effet, oeil brillant de malice, teint cuivré du gentleman-farmer – ou frondeur – patine dorée d’écrivain, élocution douce, humour féroce, courtoisie… Vite, relire Déon, et pas seulement « Un taxi mauve » !

  • Le Borgnic

    J’aime votre article et j’ai été très heureux de lire en son début la référence à « Pages grecques » ce livre m’a emporté. S’en est suivie un échange avec Michel Déon qui m’a répondu sur une carte postale de Tynagh en Irlande. Grand Écrivain. Que les « Poneys sauvages » l’accompagnent. ..

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