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Les chemins de table(s) sinueux de Maylis de Kerangal

Article du 9 avril 2016

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Maylis de Kerangal? On la connaît notamment pour « Naissance d’un Pont » et « Réparer les Vivants », deux romans aux belles ambitions humanistes. Et l’on n’est guère surpris de la retrouver elle même, conforme à l’esprit de ses précédents ouvrages, dans la neuve collection des éditions du Seuil intitulée: « raconter la vie ». Les sujets de société, Maylis de Kerangal y baigne comme un poisson dans l’eau. Témoin ce livre consacré à l’itinéraire d’un cuisinier autodidacte, prénommé Mauro (attention: rien à voir avec « notre » Mauro Colagreco), grandi en Seine-Saint-Denis dans une famille artiste, passé en cuisine juste par amour des bonnes choses et du savoir faire, passant un CAP de cuisine après ses études retrouvant ici et là les origines italiennes, côté maternel, parti se former à Berlin, revenant à Paris, en brasserie, puis en cuisine créative, livrant des instants rares, délicieux, exquis, mais, au final, un brin découragé par tous les aspects épuisants du métier. Maylis de Kerangal raconte avec minutie, colle à son personnage, l’écoute, le suit, l’observe, le raconte, se perd comme nous dans le dédale des détours sinueux de ce travail manuel plus exténuant qu’on ne l’imagine, livre des informations précieuses sur le vrai travail dans les labos – on reconnaîtra ici ceux de l’Arpège, là ceux de Saturne rebaptisé la Comète. Elle transmet ses sentiments au lecteur, qui, bien vite, comme son personnage qui achève son aventure un brin désabusé, pourrait dire lui aussi: « J’arrête. Je suis fatigué. Crevé, épuisé, rincé, rançonné, cassé, brisé, rompu, moulu, vidé, exténué, harassé, claqué, naze. Ca ne se voit pas, mais je suis mort« . Bref, on achève ce livre court mais dense, un brin découragé à son tour, en ayant le sentiment d’avoir pénétré l’autre côté du miroir. Réaliste, naturaliste, souvent grisailleux, plus que gourmand, ce joli ouvrage au titre alléchant donne parfois envie de tirer la nappe.

Un Chemin de Tables, de Maylis de Kerangal (Le Seuil, « raconter la vie », 104 pages, 7,90 €).

A propos de cet article

Publié le 9 avril 2016 par

Les chemins de table(s) sinueux de Maylis de Kerangal” : 2 avis

  • Cher lecteur, vous avez raison et ce « chemins de table » mérite sans nul doute une double lecture. On peut donc le relire avec optimisme en imaginant Mauro heureux dans sa maison imaginaire. Merci de nous lire si attentivement.

  • François Mégard

    Vous faites erreur, ou avez mal lu la fin : après avoir vendu son restaurant parce qu’il était « vidé », en effet (p. 85) (après quatre ans passés dans sa petite cuisine, et il habitait un studio à l’étage, donc plus de vie,mais tout cela est bien raconté), Mauro voyage, mais travaillant toujours en cuisine, « vagabonde, cherche » est cuistot en Thaïlande, apprenti boucher à Vanves, second de cuisine à Paris. Et au dernier chapitre (p. 101), que dit-il ? : « J’aimerais de nouveau ouvrir un restaurant ». « Créer un lieu ». Et la dernière phrase ? « Je souris, je fais le geste de lui tendre mon assiette. »
    Alors, qui tire la nappe ?

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