Un Paris sans poésie

Article du 26 novembre 2015

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C’est un Paris non seulement amoureux, mais foutraque, bavard, égocentrique, narcissique, redondant, non seulement égotiste (un anniversaire nourri de beuveries au Fouquet’s, la liste de ses appartements dans Paris dont tout le monde se moque), mais aussi un peu mièvre, que narre avec une désarmante conviction Nicolas d’Estienne d’Orves, alias Neo, dans une collection fameuse, où l’auteur de ces lignes a commis le volume consacré à l’Alsace. On y célèbre, certes, Hardellet, l’auteur du « Bal chez Temporel« , mais on y néglige Fargue (le Piéton de Paris), Aragon (Il ne m’est Paris que d’Elsa, le Paysan de Paris), et on y oublie carrément Yves Martin (le Marcheur, Poème Court suivi d’un long, le Partisan), Jacques Réda (les Ruines de Paris, Hors les Murs, l’Herbe des Talus), Franck Venaille (Papiers d’Identité,  l’Apprenti Foudroyé où l’on relève: « c’était bon d’avoir trente ans et de vivre à Paris où tant de femmes ressemblent à des Gromaire« ) et surtout Guillaume Apollinaire (l’immortel Flâneur des Deux Rives et Alcools, bien sûr), qui habita Auteuil puis le boulevard Saint-Germain. Les écrivains ne sont évoqués qu’en catimini, par quelques citations pas toujours les mieux choisies. NEO est pourtant un auteur attachant, qu’on a aimé et même défendu. Il semblerait qu’il prenne ici la pose d’un Paris qui n’est pas vraiment le sien. Des entrées comme « gardiens de square », « magouilles », « face B » semblent tirées par les cheveux, voire carrément inutiles. Le si sourcilleux et si cultivé directeur-fondateur de la collection, Jean-Claude Simoën, n’aurait-il pu lui mettre sous les yeux de bonnes lectures, comme il aime tant le faire?

« Je passais au bord de la Seine/Un livre ancien sous le bras/ Le fleuve est pareil à ma peine/Il s’écoule mais ne tarit pas/ Quand donc finira la semaine »

ou encore:

« A la fin tu es las de ce monde ancien/ Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin »

ou bien:

« Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule/ Des troupeaux d’autobus mugissant près de toi roulent/ L’angoisse de l’amour te serre le gosier/Comme si tu ne devais plus jamais être aimé« .

Et aussi:

« Juin ton soleil ardente lyre
Brûle mes doigts endoloris
Triste et mélodieux délire
J’erre à travers mon beau Paris
Sans avoir le coeur d’y mourir

Les dimanches s’y éternisent
Et les orgues de Barbarie
Y sanglotent dans les cours grises
Les fleurs aux balcons de Paris
Penchent comme la tour de Pise

Soirs de Paris ivres du gin
Flambant de l’électricité
Les tramways feux verts sur l’échine
Musiquent au long des portées
De rails leur folie de machines

Les cafés gonflés de fumée
Crient tout l’amour de leurs tziganes
De tous leurs siphons enrhumés
De leurs garçons vêtus d’un pagne
Vers toi toi que j’ai tant aimée »

Et enfin:

« Ecoutez-moi je suis le gosier de Paris/Et je boirais encore s’il me plaît tout l’univers« .

Tout ceci, bien sûr, est d’Apollinaire, offert librement à NEO, en vue de sa prochaine réédition…

Dictionnaire amoureux de Paris, de Nicolas d’Estienne d’Orves (Plon, 716 pages, 25 €)

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Publié le 26 novembre 2015 par

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