La Maison Mère

Notre correspondant lorrain, Sylvain Knecht, en goguette à Paris, a redécouvert la Maison Mère, que nous avions chroniquée à ses débuts. Laissons-lui la parole.

La façade © SK

Dans le registre des vieux ateliers réinvestis, cette Maison Mère ne manque pas d’allure avec ses faïences blanches murales,  son carrelage en béton lissé au sol, ses tables façon industrielles des années 1960. L’ambiance est là, avec une  jeunesse chic et choc qui se presse dans ce haut lieu international d’une cuisine qui voudrait raconter une histoire fleurant bon les heures chaudes de l’immigration à Ellis Island.

Oeufs brouillés et pommes sautées © SK

Pourtant, il y a  loin de la coupe aux lèvres. Et quand la déception est au rendez-vous, on s’interroge pour comprendre ce qui a bien pu se passer. Le « meilleur fish & chips de Paris » (selon nos amis du Figaroscope) est au demeurant correct pour le poisson, avec sa belle panure et son cabillaud cuit au millimètre. Mais que dire de ces frites ramollies, grassouillettes et incertaines, qui l’accompagnent, saupoudrant un plat où trône une verrine de salade mesclun sans relief?

Fish & Chips © SK

En guise de brunch, la proposition œufs brouillés et pommes sautées devrait être simple à réaliser. Encore faut-il que les œufs ne soient pas graillonneux, ce qui malheureusement est le cas. Le bagel au pastrami et cornichon débarque,  livré en même temps que le fish & chips. Ce qui fait un peu désordre, mais le serveur qui a l’air de s’ennuyer comme un jour sans soleil précise qu’on ne pourra pas le maintenir au chaud. Cinq minutes passent et notre homme revient avec son assiette, visiblement passée au micro onde.

Au comptoir ©  SK

Le désarroi m’envahit: où sont les Bublitchki de mon enfance, généreux et croustillants, accompagnés des cornichons du grand père, justes retirés de leur pot de saumure. Où sont les bagels de chez Moishe’s à l’angle de Fairmount Avenue, à Montréal, les meilleurs du monde, farcis généreusement d’un pickefleisch à tomber à genoux ? Perdu dans mes souvenirs délicieux, je reprend mes esprits dans cette cantine simili-estudiantine, et tente vainement de couper le petit pain cartonneux, qui gît au milieu de l’assiette: il abrite de pauvres tranches de bœuf saumurées, sèches et archi-cuites, trempées dans un mélange de poivre noir. Les pommes de terre sautées réchauffées évoquent le même cauchemar, celui des illusions perdues.

Décor © SK

Ellis Island 1932. « Comment vous appelez vous? », demandait à mon grand-père fraîchement débarqué de Lodz, l’officier du service de l’immigration américaine….
– ‘’Ich hab choïn vergessen’’ (traduction du yiddish : « j’ai déjà oublié »)
– John Ferguson, c’est parfait… vous vous appellerez John Ferguson…., répondit l’officier

Alors ce pastrami? Ach, j’ai déjà oublié….