Les chuchotis du lundi : adieu à Claude Peyrot, le retour de Christophe Poard à Cherbourg, l’éclosion de Théo Fernandez et Claire Cames à Lavalette, les étonnements de Yazmin Geze à Cahuzac-sur-Vère, la nouvelle donne de Joffrey Morgallet à Cordes-sur-Ciel
Adieu à Claude Peyrot
Un cuisinier de génie nous a quitté la semaine passée dans un assourdissant silence. Natif de Saint-Félicien (Ardèche), en pays vivarais, passé chez Point à Vienne, à l’Oustau de Baumanière et au Lucas-Carton au temps de Mars Soustelle, mais aussi au Ritz et au Fouquet’s à Paris, il était un classique dans l’âme mais saisi d’intuitions fulgurantes. Claude Peyrot avait fait du Vivarois de l’avenue Victor Hugo à Paris, dans son provocant décor de marbre gris orné de fauteuils Knoll, son temple 3 étoiles – qu’il posséda dix ans durant, de 1976 à 1982 – il fut le premier « chef patron » parisien à les détenir ainsi à l’heure où le devant de la scène était occupé par les maestros de salle, les Lasserre, les Vrinat, les Terrail. Il était d’une sensibilité maladive, évoquait pour tous les moments où sa mère, dans l’auberge familiale d’Ardèche, lavait les pieds des pauvres et avouait sans fard ses essais de psychanalyse avec Marc Oraison et Jacques Lacan. Chez lui, dans sa maison hors norme où il régna des années 1970 à 2000, il nous émouvait avec sa hure de gibier au foie gras, son bavarois de poivrons, son feuilleté de truffes belle humeur, son coq ivre de Pommard, son soufflé de l’écureuil. Ses meilleurs élèves se nommaient Bernard Pacaud de l’Ambroisie, Michel Rochedy du Chabichou ou Patrick Fulgraff du Fer Rouge à Colmar qui voyaient en lui comme un père et comme un mage. Nous envoyait de temps à autres des cartes postales éblouies et illuminées où il nous proposait de découvrir tel chef, telle boutique rare. Nous invita chez Benoît Guichard, un grand timide comme lui, qui venait de reprendre le Jamin de Joël Robuchon et d’y obtenir 3 étoiles. Claude Peyrot avait sans cesse l’esprit en éveil. L’écoute des autres était son credo. Il ne tarissait pas d’éloges sur sa filiation avec les Pacaud, avec Bernard qui fut plus que son chef et sa doublure et connut chez lui la passionnée Danièle. Claude aurait eu 89 ans le 15 août. Repose en paix, cher magicien, si humble, si tourmenté.
Le retour de Christophe Poard à Cherbourg
A Cherbourg, c’est le retour de l’enfant prodige. Christophe Poard, natif de la ville, vient en effet de prendre les commandes du Café de Paris, plus ancien restaurant de la capitale du Cotentin. Il a fait ses classes au casino de Deauville. Puis il fut chef de partie au Schwarzwaldstube, le trois étoiles mené par Harald Wolfhart, à Baiersbronn en Forêt Noire. Suivront le Clos de Longchamp au Méridien Paris, dans la brigade de Jean Marie Meulien, la Vieille Fontaine de François Clerc à Maisons-Laffitte, puis le Taillevent époque Deligne et Legendre. Il devient ensuite second chez Joël Robuchon, au Jamin, puis au Grand Véfour de Guy Martin. Passé directeur de la restauration et chef de cuisine du Radisson Park Lane à Anvers, il continue son parcours au Château d’Hassonville à Marche-en-Famenne en Belgique, puis au Carlsbad Plaza en République Tchèque. Il rentre au pays pour être le chef de l’Ecu de France à Chennevières-sur-Marne, puis à la Truffière à Paris 5e, enfin au Park 45 à Cannes où il conservera l’étoile au lieu… Le voyageur au brillant parcours fait son retour au bercail dans une institution cherbourgeoise datant de 1802 qui a vue imprenable sur l’avant port. La cinquantaine à peine franchie, le voilà seul maître à bord depuis le début de l’été. Ses atouts : une brasserie chic aux tables nappées, une cave très richement dotée (déjà 180 domaines représentés, 400 à terme), une cuisine qui célèbre l’excellence des producteurs locaux et leur terroir de terre et de mer, cette alliance qu’il affectionne depuis toujours. Le Cotentin gourmand s’enrichit avec lui d’un nouveau maillon qui vient compléter un ensemble déjà riche de petites et grandes tables remarquables.
L’éclosion de Théo Fernandez et Claire Cames à Lavalette
Ils ont chacun trente ans, incarnent à eux deux les environs de Toulouse qui bougent dans le bon sens, ont investi une auberge ancienne avec ses briques rouges qu’ils ont rajeuni et épuré à leur manière. Théo Fernandez et Claire Cames, qui se sont connus à l’école hôtelière de la ville rose, ont travaillé ensemble, au Shangri-la avec Philippe Labbé et Christophe Moret, au Ritz avec Nicolas Sale, à la Réserve avec Jérôme Banctel, enfin au Castellet aux côtés de Christophe Bacquié, elle en pâtisserie, lui au salé. Ils ont réuni leurs économies et établi leurs pénates avec joliesse et discrétion dans un petit village de la campagne haute-garonnaise plein de charme. Ils travaillent là, en menu unique, à composer avec le marché, les saisons, les produits du grand midi. Et pour 68 €, c’est une fête gourmande, légère, ludique, primesautière et raffinée. Etoile en vue.
Les étonnements de Yazmin Geze à Cahuzac-sur-Vère
Le Château de Salettes à Cahuzac-sur-Vère proche de Gaillac dans le Tarn ? On vous a déjà parlé de cette forteresse du XIIIe siècle, sise au milieu des vignes, avec sa piscine, ses chambres contemporaines, ses lignes high tech et sa belle table. On connut là aux fourneaux Ludovic Dziewulski qui œuvra dans l’Hérault à Saint Mathieu de Tréviers et joua une cuisine raffinée et étoilée. La demeure a retrouvé un rien de punch gourmand grâce à la dynamique Yazmin Geze, Cette mexicaine de 38 ans, ralliée au Tarn depuis quinze printemps, passée dans les cuisines prestigieuses d’Alain Ducasse au Plaza-Athénée, Michel et Sébastien Bras à Laguiole, sans omettre chez David Enjlaran à l’Esprit du Vin, alors étoilé à Albi. Yazmin tenait l’Ambroisie dans cette même ville, chef lieu du Tarn, avec son mari sommelier Guillaume. Tous deux ont changé de demeure et d’optique, vendant leur établissement, continuant de proposer des repas façon traiteur « à la maison » conservant le label de l’Ambroisie, tout en œuvrant ici même en cuisine et salle. Ses divers menus mêlent une touche latino un brin épicée et séductrice aux saveurs du Tarn.
La nouvelle donne de Joffrey Morgallet à Cordes-sur-Ciel
Au pied de Cordes-sur-Ciel, une maison renaît. Joffrey Morgallet, qui a travaillé chez Jean-Luc Rabanel à la Chassagnette à Arles, avec Michel del Burgo à Carcassonne puis comme pâtissier au Petit Jardin à Montpellier, a repris avec son épouse Léa, l’ancienne Hostellerie du Parc de Claude Izard, devenue sous leur houlette Au Jardin des Saveurs. La demeure a gardé son air de bâtisse ancienne au charme rétro avec ses vieux meubles et ses vitraux. Il y a là aussi quelques chambres de charme pour le repos. Mais les styles de Claude Izard et du jeune Joffrey sont diamétralement opposés : ce qui fut un conservatoire de la tradition du Sud Ouest, promouvant le cassoulet, le foie gras, le cou d’oie farci et le confit, est devenue une table ouverte au marché des saisons orientée vers la Provence avec des idées créatives, celles d’un ancien pâtissier qui a plusieurs cordes à son arc. A suivre
Adieu à Claude Peyrot : « son temple 3 étoiles – qu’il déteint dix ans durant, de 1976 à 1982 » ?