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Les chuchotis du lundi : Bocuse toujours, un food-court dans la Tour Rose, Brillat booste le Croco, Geaam à la libanaise, comment le Michelin a tué Maïence, Cirino fait végétal, Colinet au Sezz, Caria à la Bastide de St Tropez

Article du 17 février 2020

Bocuse toujours

Vincent Le Roux, François Pipala, Gilles Reinhardt © GP

Un mois après l’annonce du retrait de la 3e étoile Michelin, la maison Bocuse à Collonges affiche un carnet de réservations complet sept semaines à l’avance le week-end avec un ticket moyen de 300 €. Une punition du guide rouge constituerait-elle le meilleur coup de pub pour un restaurant en devenir? Sous la houlette de Vincent Le Roux, le petit-fils par alliance de Paul Bocuse, avec le service gouverné par le MOF François Pipala, 35 ans de maison, le sommelier MOF Eric Goettelmann, ancien de chez Loiseau, les desserts revus à l’assiette ou/et au chariot par Benoit Charvet, venu de chez Blanc et Loiseau, plus sa pléiade de cols tricolores en cuisine, dont Christophe Muller, Gilles Reinhardt, Olivier Couvin, le style maison rajeunit. Si la soupe aux truffes VGE demeure identique à ce qu’elle fut, la traditionnelle quenelle, revue au sandre et farcie de homard, la sole Fernand Point exquisement présentée sur une lasagne signent l’amorce d’un renaissance et d’un renouveau. La meilleure pub pour le Michelin 2021 ne serait-elle pas la double remontée à 3 étoiles de Paul Bocuse et de sa maison-soeur l’Auberge de l’Ill ?

La plaque de jumelage de l’Auberge de l’Ill © GP

Un food-court dans la Tour Rose

Tabata, Ludovic et le cuisinier du Comptoir des Apothicaires © GP

On y a connu Philippe Chavent qui y créa une table étoilée et un hôtel de grand charme. Voilà la Tour Rose transformée en « food court », avec ses stands gourmands, ses tables prises d’assaut, ses comptoirs labyrinthiques. L’atmosphère est gaie, bruyante, mouvante, la queue incessante: ça vient d’ouvrir! N’y venez pas pour une dînette intime, mais pour découvrir le nouveau Lyon qui bouge. En vedette, Tabata et Ludovic Mey, qui pestent gentiment sur leur nouvelle étoile aux Apothicaires (« cela génère, disent-ils, un public d’emmerdeurs qui réclament avant tout du chichi... ») et livrent ici une partition amusante et fraîche, comme les mets du jour (oeuf parfait aux noisettes caramélisées) et les pizzas au feu de bois (à l’enseigne de Ludo’s Pizza). On y ajoute toutes sortes de plaisirs gourmands, amusants et frais. Ainsi, les jolies douceurs de la « Cabane à Sucre »; le Bistrot du Potager, version sucrée (« le Bistrot Sucré »‘), avec ses desserts craquants (tiramisu, mousse chocolat); Substrat d’Hubert Vergouin, qu’on connaît à la Croix-Rousse, avec son exquise gaufre de pain garnie de viande ou de poisson; MSB, le roi des « bowls »‘;Lyon Gastropub, pour son fish & chips; le Butcher Brother et ses jolies viandes façons burger, plus « Misto » et ses fritures de crevettes, sans oublier, la Meunière, le comptoir bouchon d’Olivier Canal, qu’on connaît rue Neuve. Voilà un bel éventail de gourmandises lyonnaises qui donnent le tournis, à toute heure et ouvrent l’appétit du petit déjeuner au souper.

Façade © GP

Romain Brillat booste le Crocodile

Cedric Moulot et Romain Brillat © GP

Modernité en hausse, prix en baisse, qualité en mouvement, cadre dans le vent, service pimpant, chef brillant (et Brillat, comme un lointain neveu de Brillat-Savarin, natif, comme lui, de Bresse et du Bugey) : voilà le visage du nouveau Crocodile. Cédric Moulot, associé à la famille Burrus (la Marquise de Sévigné, le Musée du Chocolat, entre autres), a fait fort. La maison historique de rue de l’Outre, jadis portée au pinacle de la gloire gourmande et des étoiles par les Jung Monique et Emile, est bien reparti pour la gloire. En salle, on est accueilli par des têtes expérimentées : Cathy Klein (ex l’Arnsbourg à Baerenthal) et Pascal Funaro (ex Kammerzell, ex la Chenaudière à Colroy-la-Roche, ex-la Pommeraie à Sélestat). Manière de dire que le malicieux Moulot sait s’entourer. On y ajoute une salle rajeunie dans les tons noirs, avec sa haute verrière, ses appliques Lalique, mais toujours, rassurez-vous ses tables bien nappées et sa splendide fresque paysanne du XIXe. En cuisine, le ton est donné, du sérieux en toute chose, sortant d’une cuisine ultra-moderne, prolongée d’une table privée dédiée à Emile Jung, des mets vifs, fins, raffinés, d’un sérieux imparable. Le style maison : classico-moderne, traditionnel, mais allégé, frotté à la virtuosité technique, collant à la production locale. Romain Brillat, qui fut longtemps le lieutenant de Gilles Goujon, joue ici une partition vigoureuse, superbement maîtrisée et pleine d’entrain. On en reparle très vite.

Alan Geaam à la libanaise

Alan Geaam chez Qasti © SR

Il ouvre cette semaine sa table libanaise. Etoilé désormais à son nom rue Lauriston, dans le 16e, Alan  Geaam n’a jamais oublié ses racines. Libanais, né au Liberia,  il paye ainsi tribut à ses origines en ouvrant Qasti, autrement dit « mon histoire » en libanais, où il racontera la cuisine de sa mère, le houmous, le moutabal, le taboulé, le frekkeh, le chich taouk ou les kebbés à sa manière. Alan Geaam qui a vendu ses bistrots du 6e, face au marché Saint-Germain, et des Halles, rue Mondétour, a conservé sa première maison du Marais (la Taverne Nicolas Flamel), a racheté pour l’occasion MG Road, belle table indienne du 205 rue St Martin. On en parle vite.

Comment le Michelin a tué Maïence

Cedric Moulot et les MOF de Maïence © GP

Maïence? C’était la table marine créée l’an passé par Cédric Moulot, au coeur de Strasbourg, rue du Vieux Marché aux Poissons, avec la collaboration de cinq MOF (Gilles Goujon côté cuisine, mais aussi pâtissier avec Pascal Caffet, fromager avec Christelle et Cyrille Lohro, boulanger avec Sylvain Herviaux, sommelier avec Philippe Troussard). La maison, dans l’ancienne Mauresse qui fut un temps la Table de Louise, avait démarré avec une cuisine de haute volée, un cadre soigné, un personnel de salle rompu aux meilleurs usages. Las, dans le tout récent guide Michelin France 2020, on le sait, l’Alsace a tout simplement été laissée de côté. Autant dire qu’avec une équipe ambitieuse et des produits de haute volée, Maïence a bien du mal à tenir son rythme. La maison continuera-t-elle dans cette voie? Rien n’est moins sûr. Son voisin (un pub) serait sur les rangs pour le rachat. Il se murmure même, dans Strasbourg, que Franck Pelux, ex le Crocodile, aurait posé quelques jalons. Réponse dans les semaines qui viennent…

Bruno Cirino fait végétal

Marion et Bruno Cirino © AA

Racine : c’est le nom de la nouvelle table de Bruno et Marion Cirino. Dans une atmosphère de bistrot festif, sis au 3 rue Clément Roassal à Nice et dédié à la cuisine potagère, le deux étoiles de l’Hostellerie Jérôme à la Turbie s’éclate à sa manière légère. Ni viande ni produits de la mer au menu, basé sur le tout végétal, avec de jolis jus les accompagnant et des vins bio rouges ou blancs qu’affectionnent Marion dans de parfaits duos plats et vins. Les tables de deux et les grandes tables d’hôtes s’arrachent déjà. Et, parmi les assiettes fort savoureuses, les tagliatelles aux épinards crus et goût de vin jouent déjà les stars. A tester très vite !

Philippe Colinet au Sezz

Philippe Colinet © AA

Après avoir passé cinq années à régaler la clientèle de la Bastide de Saint-Tropez et conquis une étoile en 2017, le tourangeau Philippe Colinet, passé notamment chez Jean Bardet à Tours, Alain Couturier à la Roche le Roy, aux Templiers des Bézards, à l’Ermitage Corton à Beaune, enfin au château de Fère-en -Tardenois, ne part pas très loin puisqu’il déménage ses couteaux et autres ustensiles à l’Hôtel Sezz de Shahé Kalaidjian, toujours à Saint-Tropez. Il prend la place de Nicolas Gautier, qui avait remplacé Patrick Cuissard parti rejoindre la brigade du Chabichou à Courchevel. Un nouveau challenge s’offre à lui et il y a de l’étoile dans l’air au restaurant Colette. À suivre dès la réouverture en avril.

Alessandro Caria à la Bastide de Saint-Tropez

Alessandro Caria ©  DR

Nouvelle donne à la Bastide de Saint-Tropez. Ce beau Relais-Châteaux tropézien, dans son oasis de verdure sur la route des plages, a tourné le dos à la gastronomie française étoilée qui fut la sienne à l’enseigne de l’Olivier. Son dernier chef en titre, Philippe Colinet, s’en est allé reprendre les cuisines voisines de l’Hôtel Sezz (cf ci dessus). La maison va se doter, en lieu place de l’Olivier, d’une trattoria de luxe sous la gouverne d’Alessandro Caria, milanais voyageur, qui a exercé son métier aussi bien comme chef à domicile que dans des restaurants parisiens, provinciaux, en Corse et, hors frontières, à Moscou, Londres, en Espagne, en Corée du Sud et Mongolie. On en reparle vite .

 

A propos de cet article

Publié le 17 février 2020 par

Les chuchotis du lundi : Bocuse toujours, un food-court dans la Tour Rose, Brillat booste le Croco, Geaam à la libanaise, comment le Michelin a tué Maïence, Cirino fait végétal, Colinet au Sezz, Caria à la Bastide de St Tropez” : 11 avis

  • Jean-Claude Perriand

    Mundo67
    .. Oups !.. J’ai été coupé… Comparée a une carte de France des Étoilés Michelin, il y aurait pas mal de rapprochement … Mais, personnellement, je préférerais ne pas ramener celà à une froideur du type format 21×27…
    Bien cordialement.

  • Jean-Claude Perriand

    Mundo67.
    Pierre Gagnaire à St-Etienne était plus proche de Lyon que ne l’était Troigros… Bon, là, je chipote, mais c’est pour rire !.. Bien sûr, d’autres critères interviennent, comme par exemple, l’ancienneté sur la place.
    Effectivement, vous avez raison, Si Pierre Gagnaire, trois étoiles en 1993 à St-Etienne, a dû abandonner là-bas en 1996, ce n’était pas faute à son (énorme) talent.
    A la même époque, Marc Veyrat, à Veyrier du Lac, proche d’Annecy, trois étoiles en 1995, connaissait, alors, une fréquentation très importante.
    Peut-être que Strasbourg, en fin d’un cycle, est à l’aube d’un nouveau ?!..
    Pour revenir à votre remarque, sur l’idée d’une carte de la France de la richesse par habitant, comparée à correspondance d’une carte de

  • Mundo67

    @JEAN-CLAUDE PERRIAND. Il y a du vrai dans ce que vous dites. Les conditions socio-économiques ne sont pas (toujours) suffisantes pour expliquer l’implantation et la réussite de grands restaurants mais elles sont tout de même importantes. Il suffit de méditer l’exemple de Gagnaire à Saint Etienne…. Par ailleurs d’autres grands restaurants peuvent exister et bien vivre hors des sentiers battus mais ils sont souvent proches et pas si éloignés de grandes aires urbaines (La villa Lalique proche de l’Allemagne, de la Suisse ; les Trois-gros près de Lyon…). Il reste qu’à Strasbourg et objectivement il n’y a l’heure actuelle pas un seul très grand restaurant de niveau national et encore moins international. Pour une telle ville c’est assez incroyable… Les deux étoiles se réfugient à Kaysersberg, Wingen sur Moder. Le débat continue…

  • Jean-Claude Perriand

    Bonjour Mundo 67.
    Il n’est pas suffisant, je pense, qu’un hypercentre de ville (ou grande ville) soit habité par des gens riches pour que « brillent des étoiles Michelin », puisqu’il s’agit là du « sujet du débat »… Beaucoup d’étoilés, voire grands étoilés (Paris exclu) sont implantés en dehors, parfois très en dehors, voire en campagne.
    Mais, y aurait-il des « etoilés  » à Lampertheim ou Mundolsheim… Et si ce n’etait pas le cas, cela ne signifierait pas, bien entendu, que l’on ne puisse pas très bien s’y restaurer !..
    Il est vrai que des régions où départements de province qui ont connu un essor économique important (tourisme, nouvelles implantations, nouvelles technologies…) depuis une, deux, trois décennies…ont plutôt vu le nombre d’étoiles et d’étoilés progresser nettement (PACA… Savoie/Haute Savoie…).
    Pour revenir à l’Alsace, le nombre d’étoilés, 29 actuellement (6 x 2* et 23 x 1*..) a légèrement diminué sur une période à peu près équivalente (pendant longtemps autour de 30/31… et encore 30 en 2019…).Ce sont, effectivement, des « grandes stars locomotives » qui sont, peut-être moins inspirées, ceci, soulignons-le, en regard des critères bibendum, ou ont cessé le « grand » jeu… Très respectable et très difficilebjeu (feu Émile Jung, Antoine Westerman..)!..
    Hé!..tout n’est pas « perdu », loin de là !..

  • Valery

    … quand l’intelligence se réfugie chez les commentateurs…

  • Watsounet

    Ce que vous titrez à propos du Maïence est tout simplement grotesque. Déjà, on pourrait discuter du modèle économique d’un resto qui a besoin d’une étoile tout de suite pour survivre. Mais je ne connais pas l’histoire du resto et je me garderai donc de faire tout jugement péremptoire. De là à affirmer que Michelin les a tués en ne donnant pas d’étoile, c’est vraiment du grand n’importe quoi qui vous décrédibilise totalement. Ce serait peut-être bien de suivre le conseil de Pierre : parlez des restos que vous faites et arrêtez de faire une fixation sur Michelin.

  • Pour info, Patrick Cuissard a quitté Sezz depuis 2018. Colinet remplace Nicolas Gautier, présent au Sezz depuis 2013 et ancien second de Cuissard.

  • jouyenjosas

    Bonjour,
    Votre billet sur Maïence me laisse sans voix. La vocation d’un guide gastronomique…n’est-elle pas de guider ses lecteurs ? Un (véritable) guide n’est pas un auxiliaire des attaché(e)s de presse de la restauration. Par ailleurs, réunir un casting de consultants célébrités locales (?) et autres Mof ne suffit pas à créer une âme. Bien qu’alsacien d’origine, je partage les commentaires de certains de vos lecteurs sur un assoupissement (soyons aimable) des stars régionales et au-delà il s’agit peut-être d’une perte d’influence de la scène gastronomique alsacienne. Il manque probablement à Strasbourg une vraie locomotive de la jeune génération, plutôt que des hommes de business qui inventent et défont des « concepts » ou tentent de faire du neuf avec du vieux.
    Bien cordialement.

  • pierre

    oui pourquoi cette fixation sur les Macarons: faites nous une critique sincère et honnête de vos chouchous et puis basta!! Banco??????

  • Christophe Mathoulin

    Cher ami, j’apprécie vos chuchotis du lundi, et j’aime à suivre vos chroniques.
    Néanmoins je ne partage pas votre opinion sur certains points, en particulier sur Maience. J’y suis allé récemment, le repas était (très) moyen, et j’ai même été malade la nuit suivante….
    Si cette adresse devait s’arrêter, je n’en serais pas surpris. Le 1941 en revanche est d’un tout autre acabit, vraiment exceptionnel.
    Enfin l’Auberge de l’Ill, avec ses 2 * s’en tire plutôt bien. Mon dernier passage là bas était (très) décevant.
    Arrêtons le Michelin Bashing, ça n’est pas si grave, et gardons juste la joie sincère de ceux qui obtienne 2 ou 3 étoiles (l’année dernière Alexandre Mazzia, David Toutain, Mauro Colagreco, cette année Glenn ou Key) c’est autrement rafraîchissant
    Amicalement

  • Mundo67

    Bonjour,
    Un « complot » contre Strasbourg au niveau de la remise des étoilés ? Je crois que c’est un peu plus compliqué que cela ! Y-a-t-il tout simplement la clientèle pour des restaurants étoilés dans l’hyper-centre de Strasbourg ? Un peu de géographie s’impose. Des faits : Strasbourg est contrairement à une idée reçue, une commune pauvre (2000 € de revenus mensuels) avec beaucoup d’étudiants. La richesse se situe davantage dans l’Euro-métropole (Mundolsheim, Lampertheim…). Beaucoup de ces péri-urbains ne viennent plus pour des raisons diverses à Strasbourg et lorsqu’ils veulent bien manger vont dans des restaurants dans leur coin. L’hypercentre, ce n’est plus que 9000 habitants sur 270 000 pour l’Eurométropole. Dans l’hypercentre, Il n’a qu’à voir le nombre de coffee shops, street food qui se sont sont ouverts pour les étudiants. Le Michelin ne fait qu’entériner une situation commune à beaucoup de métropoles, la désertification, la muséification des centre-villes.
    Il serait intéressant de comparer la carte de la richesse par habitant à la carte des étoilés. Une hypothèse supplémentaire : l’Alsacien aime bien manger mais ne privilégie t-il pas la quantité à la qualité ? le prêt à porter plutôt que la haute couture. Je suis prêt à avoir un débat avec les lecteurs…. cela intéresse davantage que la gastronomie mais toute l’évolution de nos villes.
    Mundo67

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