Le drôle de voyage d’Itamar Orlev

Article du 10 octobre 2018

1988 : la Pologne est encore plongée dans la grisaille communiste. Israël a essuyé quelques guerres. Tadek, écrivain raté, entre deux mondes, deux pays, qui a quitté sa terre natale pour Israël et Jérusalem, se confie à sa mère, sur son mariage brisé, sa solitude loin de sa femme et de son fils. Il décide de revenir en Pologne le temps d’un voyage héroïco-tragique pour retrouver son père, Stefan Zagourski, catholique, partisan, héros de la guerre, survivant des camps et des combats clandestins, ivrogne, père dévoyé, maltraitant sa femme et ses enfants. Le héros d’hier est devenu un vieil homme brisé, malade, dans une maison de retraite pour pensionnés, ex combattants, à Varsovie. Il s’accroche à ses souvenirs et à la vodka, qui est son remède miracle, peste contre l’humanité, se lamente sur lui-même. La venue de Tadek dit « Tadzio » sera-t-elle une forme de rédemption, un voyage au bout de la nuit des souvenirs, un chemin vers l’oubli? Itamar Orlev, né en Israël, vivant à Berlin, a construit ce premier roman comme une quête, utilisant la mémoire d’autrui pour construire son oeuvre propre. La lecture est aisée. Les pages sont douloureuses: le rapport père-fils, les souvenirs du père, victime et bourreau, les horreurs de la guerre, la terreur nazie, la vie et la fuite hors de Maïdanek, la collaboration des Ukrainiens, les crimes interminables de la Shoah et des « liquidateurs » dont Stefan lui-même, avec son langage de charretier, savamment traduit avec cruauté et crudité, est l’illustration vivante. Ce livre, dont le voyage d’une semaine entre Varsovie, Lublin, la campagne polonaise, constitue le corpus principal, est à la fois un témoignage vigoureux sur la Pologne d’avant et d’après guerre, tiraillée entre URSS et Allemagne, et un douloureuse message sur la relation père/fils. On n’en sort pas indemne.

Voyou d’Itamar Orlev traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz (Seuil, 462 p., 22,50 €).

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Publié le 10 octobre 2018 par

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