Chez Abel
« Lyon: Abel, un morceau d’histoire »
Le plus historique, le plus chargé d’histoire des bouchons ? Abel, bien sûr, à la belle façade comme autrefois, tout à fait inchangée. Hugo pourrait y tourner les Misérables, Marcel Carné un remake des « Enfants du Paradis », Claude Autant-Lara une version lyonnaise de « la Traversée de Paris ». Le décor millésimé 1922, à deux pas de l’ancienne abbatiale d’Ainay, possède le charme de toujours. Est-il XIXe ou début XXe? On ne sait trop.
Avec ses boiseries, ses vitres de verre gravé, ses vieilles pubs, ses tables de bois façon café de campagne, ses banquettes du même métal, son comptoir desserte à l’entrée, la demeure cultive l’intemporel. Il y a la jolie salle sur l’arrière, celles plus bourgeoises du premier étage, certaines destinées aux banquets de famille: c’est là comme une porte ouverte sur le passé.
La cuisine, elle, est bien d’aujourd’hui. Car la tradition bien comprise, légère, sans forfanterie, revient à la mode. Bref, si la maison a changé de mains il y a trois ans, sans perdre son âme, ni son cachet, la qualité de la cuisine semble même en hausse. Aux commandes du lieu : le jeune Norbert Brun, qu’on vit jadis chez Georges Blanc à Vonnas à qui le duo de propriétaires, Philippe Florentin et Bruno Metzle ont laissé la bride sur le cou.
En cuisine, Alain Vigneron, qui connaît la musique et fut déjà sous l’ancienne direction, mitonne à la perfection un registre de tradition. Salade de lentilles bien échalotées et saucisson chaud ou salade lyonnaise, avec croûtons chaud, œuf pochés et lardons, andouillette sauce moutarde, tête de veau sauce gribiche, foie veau émincé à la crème ou tripes tomatées proposées dans leur cocotte estampillée Staub sont l’évidence même. Il y a encore les classiques rhône-alpins en rafale: grosse quenelle soufflée, poule au riz sauce suprême, gratin d’écrevisses, « fameux » poulet au riz à la crème…
On y ajoute un pot de beaujolais friand, une tarte aux pommes caramélisées à fondre et un décor boisé, patiné, émouvant de vérité qui donne le sentiment de pénétrer comme par effraction dans un monument du temps passé…
Bref, c’est un lieu de mémoire, une oeuvre exemplaire au service d’une tradition vivante, un bel effort de conservation, de saveurs, de vérité. On a envie d’applaudir comme au théâtre à l’issue de la représentation. C’est beau comme Lyon, bon comme un bouchon. C’est Abel, c’est unique en vérité.