L’Aragon dévoilé par Gérard Guégan

Article du 17 février 2015

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Gérard Guégan? Je l’ai connu il y a quarante ans… Je co-dirigeais alors une revue littéraire intitulée « Présence et Regards » et nous lui consacrions un numéro spécial, à lui, l’anar flamboyant, l’ex communiste repenti avec maestria, le conteur expert, l’auteur d’un chef d’oeuvre presque oublié, « la Rage au Cœur », l’histoire d’un homme qui bradait son héritage et jetait sa vie par dessus les moulins en neuf mois. Depuis Guégan a beaucoup publié, non seulement les livres des autres (il fut éditeur à l’enseigne de Champ Libre), mais les siens propres, des « Irréguliers », comme une suite de la « Rage au Coeur », à « Fontenoy ne reviendra plus », l’histoire d’un communiste tenté par le fascisme et la collaboration.

Son nouvel opus est consacré à un amour caché d’Aragon, sa passion, moins d’une semaine pour Etienne Mahé, 28 ans, représentant du Kominform, autant dire de Moscou en France. Aragon, qui en a 55, est l’écrivain adulé du PCF, le surréaliste en rupture de ban avec ses camarades d’école poétique, le chantre d’Elsa, qui se rue sur tous ses amants possibles, car elle connaît bien son homme. Tandis que le procès s’instruit contre les révisionnistes, les « traîtres » au parti ou les trop fidèles aux idéaux de départ, le « groupe » Marty-Tillon que fustige un Lecoeur ou une Jeannette Thorez-Vermeersch, Aragon qui dirige « les Lettres Françaises » joue double ou même triple jeu. Il doit cacher ses vraies passions amoureuses comme ses goûts littéraires et artistiques.

Nous sommes en 1955, et, s’il veut rester dans le jeu, il doit lorgner du côté du Réalisme Socialiste plutôt que de Jackson Pollock. Doit condamner Proust, pour ne vanter que les officiels ou les compagnons de route tel Romain Rolland. Bref, aller contre lui-même. En cachette, il demande à Mahé, rebaptisé « Tristan », de l’appeler « Gérard », son prénom de résistance, parvient à cacher sa vraie nature en conservant son pouvoir et son aura.

Guégan, qui sait jouer comme personne des contradictions des uns et des autres, raconte avec brio, disserte, invente. Pratiquant – on l’imagine – le « Mentir Vrai » façon Aragon. C’est à la fois brillant, poignant, parfois drôle, évitant le drame. C’est une bien jolie page d’histoire secrète qu’il nous livre là dans un style cursif, vif, caracolant, pétaradant.

Qui dira la souffrance d’Aragon ?, de Gérard Guégan (Stock, 274 pages, 19,50 €)

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Publié le 17 février 2015 par

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