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Mes bières…

Article du 13 décembre 2012

Flammarion, qui vient de publier les « mille et une bières qu’il faut avoir goûté dans sa vie « , m’a demandé une préface à ce livre « définitif », rédigé par une équipe anglo-saxonne. Voilà ma contribution très personnelle… sans doute un peu plus longue qu’initialement prévue …

Les 1001 bières qu'il faut avoir goûtées dans sa vie

« On a tous besoin de croire en quelque chose. Moi, je crois que je vais reprendre une autre bière » (Stephen King)

Je suis né au pays de la bière, dans une région – la Lorraine – qui comptait 123 brasseries recensées au XIXe siècle – Yutz, Champigneulles, Vézelise, Tantonville et beaucoup d’autres – et qui ne possède plus que deux musées évoquant son histoire – à St Nicolas de Port et à Stenay -, mais où la bière toujours présente par quelques micro-brasseries – la Loroyse à Pont-à-Mousson, la Val Heureuse au Val d’Ajol. Reste que la culture locale fut toujours et demeure imprégnée par la dive mousse.

Je suis né à Metz, où régnait la brasserie Amos, rachetée par l’allemand Karlsbrau et aujourd’hui disparue, mais où la bière était l’élément de fête quotidienne et de convivialité heureuse. Où l’on se « désoiffait » avec un demi-panaché, que l’on relevait avec un amer bière, et dont on se servait aussi en cuisine pour faire mijoter un lapin ou cuire une hure de porc en gelée.

La bière ? Le plus petit commun dénominateur entre les êtres et les choses. S’il fut jadis le « pain du pauvre » des Irlandais, glissons qu’il est notre champagne populaire. Le moyen de nous désaltérer l’été, de nous rafraîchir après une bonne marche, de réchauffer l’hiver, de poursuivre une conversion entre amis, sans trop craindre l’ivresse. La bière ? Elle est de mille et une sortes. Celle, savante, de nos voisins belges, qui ont su garder leurs petites unités, de diversifier leurs crus, de conserver, pour chaque grande ville et petit pays, sa bière en propre.

On ne peut aller à Anvers, sur la grand-place, sans boire une De Conynck, visiter Bruges, sans sacrifier à une Brugse Tripel, s’arrêter dans un café de Liège sans céder à une Jupiler, ni omettre la Stella-Artois à Louvain. Tous les plaisirs sont dans la bière en Belgique. Lambic (issue de fermentation spontanée), faro (avec adjonction de sucre de canne), Kriek (avec macération de cerises), de haute et basse fermentation, bière forte ou douce, sucrée ou mi-amère et carrément acide, d’abbaye, comme l’Orval ou la Chimay ou de fort laïque extraction : voilà sans doute le petit pays d’Europe qui a su le mieux conserver sa tradition gambrinale.

Gambrinus ? Le Saint-Patron de tous les amis de la bière, figure légendaire qui s’inspire de Jean Ier duc de Brabant, créateur de la Faro bruxelloise et du Lambic pur. En France, on l’a imaginé résidant de la commune de Fresne-sur-Escaut, en Flandre, exerçant le métier de carillonneur, en proie aux moquerie des habitants du villages, et qui aurait commis un pacte avec le diable qui lui donna des graines pour planter du houblon pour séduire ses ennemis et se venger.

Sa vengeance bien douce ? Une bière magique qui aurait séduit tout le monde et d’envie l’envie d’en boire encore et encore. Il aurait chassé le diable ensuite à coup de carillon et serait décédé, transformé en tonneau, donc sans tombe. Gambrinus est devenu le symbole de la bière dans toutes les grandes fêtes flamandes. Celui qui est représenté sous forme de géant, qui incite à boire les gens de Lille, d’Armentières, de Steevorde ou de Béthune.

Pas de grande fête en Flandre sans belle bière pour l’accompagner. Elle est l’élixir de jouvence des gens du Nord, qu’elle se nomme Choulette, Thiriez ou Trois Monts. Elle se marie avec les frites, exalte les moules, s’allie volontiers au hareng auquel elle fait perdre son côté salé, donne de l’esprit aux poissons, comme, côté Belgique, au « waterzoï », cette préparation d’origine gantoise à « l’eau bouillie », qui peut convenir aussi bien aux viandes blanches et aux volailles qu’au poissons de mer.

Bref, elle est à la fois un élément de culture, éminemment populaire, mais aussi un maillon de la gastronomie du Nord. A Mons, chez Devos, on pratiquait jadis l’alliance de la mousse houblonnée et des mets les plus raffinés: les filets de sole à la bière à l’effilochée d’endives (dites ici « chicons ») ou le homard à la gueuze. « La cuisine à la bière, expliquait Paul Dandoy, le patriarche de la maison, est l’art de la correction. La bière possède une amertume qui se concentre lors de la réduction. Il faut donc corriger cette amertume par de la crème, de la moutarde. » Généreuse, la cuisine à la bière ne dédaigne pas les sauces. Mais celles-ci ne sont pas forcément lourdes ni grasses.

L’autre pays de la bière ? L’Alsace, bien sûr, où celle-ci participe à toutes les fêtes. « C’est avec la bière, dit l’adage local, que la soif commence à devenir belle ». L’Alsace aime la bière, qui le lui rend bien. Son credo: celui de la belle soif, de la boisson vive et fraîche. La bière est dite de basse fermentation alcoolique. Elle titre en moyenne 4,8°, elle est, par excellence, la boisson désaltérante : celle des mois d’été. Mais elle est aussi celle de toutes les occasions. Bière de mars, tirée des premiers brassins du printemps, bière de Noël, plus forte, plus charpentée, légèrement douce et épicée, pour supporter les frimas de l’hiver. Bière d’accompagnement, donc de gastronomie, bière aussi à boire toute seule, hop là, juste pour le plaisir.

Avec soixante litres consommés par habitant, le marché alsacien demeure, en effet, le premier de l’hexagone. Il est vrai que la culture de la bière est ici de tous les instants. On rappelle que le premier brasseur s’installa en 1259 dans le quartier de la cathédrale: c’était le précurseur au nom prédestiné, Arnoldus Cervisarius qui prend place dans l’impasse nommée aujourd’hui ruelle de la bière. Sept cent cinquante ans plus tard, son histoire apparaît comme celle d’une vaste concentration. Au début du XIXe siècle, Strasbourg et sa périphérie comptent 250 brasseurs. Aujourd’hui, le géant hollandais Heineken, qui a racheté Ancre Pils, Mutzig, Fischer, Adelshoffen, trônant dans le faubourg de Schiltigheim, où Schutzenberger, l’une des grandes brasseries de tradition tenue par la famille Muller, a, hélas, disparu.

Kronenbourg, d’ancestrale fondation alsacienne (c’était la famille Hatt dès le XVIIe siècle), a été repris par le danois Carlsberg, qui possède son siège social dans le quartier éponyme de Cronenbourg, et  fabrique sa bière dans la plus grande unité brassicole d’Europe, à Obernai. La Bière de Saverne (fondée en 1845 par la famille Scheickhardt) réputée pour l’eau limpide, pauvre en nitrates et légèrement acide, que filtrent les roches de grès rose des Vosges, a été rachetée par le sarrois Karlsberg (à ne pas confondre avec le danois homonyme, mais avec « C » au lieu de « K »), qui produit en France sous le nom de Karlsbrau, et encore, en Alsace, de la Licorne, une bière pils, amère et rafraîchissante.

Les petits poucets du genre ?  Il y a les brasseries artisanales de Lutterbach, Lauth à Sharrachbergheim, Saint-Pierre, non loin de Barr et d’Andlau, entre vignoble et forêt, sans oublier Uberach, au cœur du pays de Hanau. J’allais omettre l’ultime brasserie  indépendante d’importance et « 100 % alsacienne » : dans le village d’Hochfelden, au cœur du Kochersberg et de l’Ackerland, à deux pas des champs d’orge et de houblon, bref au cœur des choses.  C’est Météor, géré depuis sept générations et depuis 1898, par les Haag. Son produit vedette : la Pils, une bière de tradition, fraîche, légère, amertumée en sa version blonde, qui lui donne son air de petite cousine alsacienne de la Pilsen tchèque, bref une bière qui « corrige » la soif et fait un bel accompagnement avec tous les plats de gastronomie.

Mais le chauvinisme m’aurait il conduit à ne vous vanter que la bière à la française – sans omettre le clin d’œil aux Corses de Pietra, aux Basques d’Eki, aux Bretons de Coreff -, plus les cousins belges, alors que 1001 bières vous sont ici proposées. C’est que les auteurs du livre que vous allez lire sont anglo-saxons. Ils ont donc privilégié les mousses blondes, brunes, ambrées, blanches, d’Irlande et du Royaume Uni, d’Australie et des Etats-Unis, du Canada et de Nouvelle Zélande. Ils nous apprennent aussi que l’Italie est riche en nombre de brasseries fort méconnues chez nous (Baffo d’Oro, Ghisa, Ligera, Nora et tant d’autres). Ils nous poussent à faire un petit saut en Espagne pour goûter l’Alhambra Negra, la Lupullus ou la Vol-Damm.

Ils n’ont pas oublié que l’Allemagne demeure, avec « sa loi de pureté » (Reinheitsgebot), datant de 1516, faisant seul honneur à la bière issue de grains crus et n’autorisant, pour sa fabrication qu’orge, houblon et eau – même si le froment est utilisé pour la fameuse et si désaltérante « Weissbier »  – a fait de la bière une religion, préservant sa belle nature et son identité. La fête de la bière de Munich, chaque année, en octobre, est le symbole, en Bavière, de cette foi vivace.

On trouvera ici encore des clins d’œil importants aux pays scandinaves, à la Suisse, au Japon, à l’Autriche et à l’Afrique Sud, sans oublier la Pologne, puis un grand coup de chapeau à la République Tchèque ici largement représentée et dont la Pilsen Urquell consistue pour le monde entier la référence de la bière blonde désaltérante ayant donné son nom à un style : la Pils.

Mais la bière, on l’a bien compris ici, constitue un ensemble de codes et de cultures dont chacun fait son miel. Il y a autant de bières que de buveurs de bières, autant que goûts possibles et de styles offerts que de brasseries petites et grandes, permettant à tous, pour chaque instant différent, de boire la bière qu’il aime. « Sa » bière, on la trouvera forcément au long de ces mille et une note passionnantes et passionnées.

Les 1001 bières qu’il faut avoir goûtées dans sa vie, Adrian Tierney-Jones (ed. Flammarion)

PS : un petit regret pour le Lorrain que je suis, né aux portes du Luxembourg, que le Grand Duché, petit, certes, mais si amoureux de la dive mousse et si riche en bières de qualité (Mousel, Diekirch, Bofferding à Bacharage, Simon à Wiltz) soit totalement absent de ce livre phare. Mais ce sera peut-être pour une prochaine édition …

A propos de cet article

Publié le 13 décembre 2012 par
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Mes bières…” : 1 avis

  • Gilles,

    Si vous retournez du côté de Cahors, à une vingtaine de kilomètres au sud, passez à Fontanès où Christophe RATZ brasse, dans le royaume du Malbec, des bières du plus grand intérêt puisque issues de fermentation haute, donc des bières qui ont du goût.

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