Le Tire-Bouchon

Cédric Moulot © Maurice Rougemont

C’était une demeure du temps jadis, dans le fameux quartier de la cathédrale, une ancienne cordonnerie, établie en 1605, à l’enseigne, déjà, du Tire-Bouchon, devenue débit de vin à la fin du XIXe siècle. Bref, un lieu petit, coincé, étriqué, avec sa table d’hôte – où comme on dit, ici, « stammtisch » – de l’entrée, puis sa salle rigolote façon tonneau, avec son plafond en lattes de bois, ses banquettes. J’oubliais les fresques de Bricka sur les murs de la salle du rez de chaussée.

Oeuvre de Dorette Muller © Maurice Rougemont

C’est du moins ainsi que je découvris le lieu, largement fréquenté par les étudiants, sous la houlette du délicieux, mais bougon Gilbert Brandt dans les années 1970. Il a été largement agrandi avec l’adjonction de la maison voisine, la Rôtisserie Au Bon Vivant, par le jeune et dynamique Cédric Moulot. A peine trentenaire aujourd’hui, cet autodidacte de charme, qui possède cinq établissements strasbourgeois dont la Bourse, démarra à 22 ans avec cette demeure ancienne. Passionné d’art et de régionalisme, il s’est amusé à collectionner les œuvres d’artistes lorrains et alsaciens, leur dédiant à chacun une salle.

Le service © Maurice Rougemont

Il y a celle dévolue à Claude Weisbuch, natif de Thionville, peintre et graveur, fou de musique, lointain disciple de Rembrandt, dans la lignée des grands Flamands. Celle aussi consacrée à Dorette Muller, cette petite cousine non dite et très années 1940/1950 d’Hansi aux airs faussement naïfs, avec ces personnages échappés des villages d’autrefois, portant le costume traditionnel et défiant, d’ironique façon, l’occupant allemand.

Marqueterie de Spindler © Maurice Rougemont

Et puis ces gravures, marqueteries (de Spindler), photos sous verre qui complètent, avec les œuvres du fidèle Bricka, la panoplie artistique d’origine. Cédric peaufine sa maison comme son enfant, l’agrandit, l’embelli. Et même si aujourd’hui, avec son entrée double (rue du Maroquin, rue des Tailleurs de Pierre), ses enseignes qui se répondent (on a gardé celle du Bon Vivant), ses salles en dédale, elle sort un tantinet de l’optique « kachele » (le petit coin, en alsacien), elle n’en garde pas moins son côté cosy, et se veut « la plus accueillante des winstubs », comme le précise la carte en liminaire.

Cédric devant son Tire-Bouchon © Maurice Rougemont

De fait, la maison accueille sept jours sur sept, sert dès 11h30 au déjeuner et dès 18h le soir, et ce jusqu’à minuit. Fils de boucher, charcutier, traiteur, entré à l’école hôtelière dès ses quatorze ans, Cédric veille avec soin sur chaque assiette sortant de sa cuisine rénovée. Les classiques entrées (salade de pot au feu ou de museau, presskopf et crudités, terrine de foies de volaille au foie gras) sont estampillées « maison ». Il y a la ronde des jambonneaux ou des choucroutes, le cordon bleu de volaille au munster, comme les rognons de veau à la moutarde ancienne. Le sandre en filet sur lit de choucroute avec sa sauce riesling, comme le bœuf gros sel, la tête de veau ou la salade de pot au feu constituent quelques uns des mets emblématiques de la demeure.

Plats © Maurice Rougemont

La carte des vins parle alsacien de belle manière, non seulement avec les jolis crus en pichet, mais aussi le formidable pinot noir 2003 en magnum signé Muré à Rouffach au Clos Saint Landelin, avec son nez de cassis, digne d’un grand bourgogne. Et les desserts (strudel aux pommes, tarte au fromage blanc, pain perdu avec sa glace vanille, kougelhopf glacé maison ou encore parfait glacé, pareillement maison, à la framboise et au citron) respirent le sérieux autant que la gourmandise. Voilà une demeure raisonnable où faire la fête entre amis est un constant plaisir.

Desserts © Maurice Rougemont