Monsieur Jean

La jeune équipe de Mr Jean © Maurice Rougemont

C’est « the » table où tout Lille mange, le lieu où il faut être. Il ne défraye pas la chronique, placé pourtant de stratégique façon face au beffroi, en retrait de la grand place, près de la gare de Lille-Flandres, au dessus de la boulangerie Paul.

D’ailleurs, la demeure typique de la tradition du Nord, belle et ouvragée appartient aux Holder, qui sont les rois de la boulangerie industrielle de leur région, règnant non seulement sur Paul, depuis leur bastion de la Madeleine, mais aussi sur Saint Preux, Ladurée, plus quelques belles échoppes historiques d’ici (comme Notre Dame de la Treille dans le Vieux Lille) rachetées avec malice.

Leur locataire qui se cache – mais à peine – sous l’enseigne sybilline (« Monsieur Jean ») n’est autre que le grand chef de la région Nord-Pas de Calais : Marc Meurin, qui tient le Relais & Châteaux de Beaulieu à Busnes et possède deux étoiles chez Michelin (il en vaut trois depuis dix ans) pour sa cuisine créative, vive, enjouée, enracinée. Ce natif de Lens, qui est un modeste sans « C.V. » rutilant, fut formé jadis à l’école hôtelière lilloise, tint d’abord des demeures à Armentières et Béthune avant de rallier son ermitage gourmand de Busnes.

C’est dire que même s’il voyage  – lors de notre passage à Lille, il était au Brésil, demain il sera à New York et pourquoi pas à Singapour, pour faire connaître sa manière agile -, il reste obstinément fidèle à son Nord nourricier. La table qu’il a mise en place est fidèle son image : une équipe jeune, bosseuse, souriante, sûre de son fait, mitonne sous sa houlette des choses exquises, fines, très régionales et qui se veulent « classiques recrées ». Le goût d’hier, la technique d’aujourd’hui : voilà exactement l’esprit de « Monsieur Jean ».

Mosaïque de plats chez Mr Jean © Maurice Rougemont

Qu’expriment en finesse et une légèreté un brin canaille la « fabuleuse » (c’est dit sur la carte, mais elle l’est vraiment) tartine de pied de porc avec roquette et copeaux de foie gras ou la fine croûte d’escargots de Radinghem à la crème de fenouil et d’ail fumé – si typique des villages d’Arleux et de Locon. Le plat emblématique de la maison : l’anguille fumée à la betterave et crème de raifort. Plus nordiste, tu meurs ! Mais rien de plus sophistiqué que ces trois éléments dissociés et mariés avec précision et justesse.

Ensuite la pêche du jour (deux filets de saint-pierre absolument parfaits le jour de notre passage) avec risotto aux légumes et crèpes vonnassiennes, aux pommes de terre, comme chez le copain Georges Blanc dans l’Ain, ou la superbe côte de porc à la fondue d’endives et à la sauge ajoutent au bonheur de communier ici dans la gourmandise régionale à la fois légère, vertueuse et fort digeste.

Deux points forts encore à ne pas louper : une carte de vins malicieuse classée par clins d’œil (« Pour se faire plaisir », « Découvrir c’est s’enrichir ») et des desserts à se mordre la langue de plaisir (parfait glacé chicorée et sirop de genièvre ou rigolo cheesecake au spéculos et poire caramélisée présenté en verre avec son émulsion façon azote, qui amuse sans biaiser). Bref, il y avait à Lille l’étape indispensable de l’Huîtrière, sa grande demeure poissonnière. Il y a désormais ce bistrot chic éminemment gourmand. Du bon, du grand, du Meurin !

Cheese-cake et poire © Maurice Rougemont