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Continue, p’tit gars!

Article du 22 octobre 2011

Entre Jean-Luc et moi, c’est un peu comme entre Montaigne et la Boétie, « parce que c’était lui, parce que c’était moi« . Ce gars là et ma pomme nous sommes connus il y a plus de vingt ans. C’était au temps où nous arpentions ensemble le bitume de Paris, de Rennes, de Marseille, de Strasbourg, de Clermont-Ferrand ou d’ailleurs, alors qu’il fut le compagnon fidèle, attentif, drôle et attentionné de mes premiers guides. Cet amoureux du zinc, ce buveur au grand coeur, ce gourmand des mets – qui est aussi un gourmet des mots -, mais plus encore un coeur tendre à l’âme de midinette dès qu’il évoque ses émois d’enfance, nous faisait, déjà, fondre aux larmes (de joie) avec ses récits héroïcomiques, contés avec une verve de funambule verbal hors norme.

Comédien doué, chroniqueur généreux, homme de comptoir et de plume, personnage de scène et de télé (vous souvenez vous de ses « Contes savoureux d’Alsace », il y a plus de vingt ans déjà ?) , il nous avait déjà livré, avec « Mes envies de vivre » (paru chez Fayard, en 2008), un authentique livre d’écrivain, flâneur, buissonnier, fugueur. Aujourd’hui, avec ce petit lexique charmeur et tendre, où il met beaucoup de lui-même, il creuse le sillon. Il y a le petit garçon qu’à l’école – lui!-  on surnommait « le Petit Peugeot » ou « le Petit Volvo », et que le professeur d’allemand nommait, malicieusement et tendrement, « Kleiner Fuchs » (« Petit Renard »). En prenant de l’âge et de la graine, Jean-Luc, l’homme des taxis anglais et du micro-cravate sur tous les marchés de France, est devenu le défenseur des petits: les petites tables, les petites maisons bonhommes où l’on aime se serrer pour glaner un brin de chaleur, les petits légumes, les petites casseroles, le petit épicier, la petite recette, le petit pois, les petits farcis, le petit menu, mais aussi la petite chanson (comme le dit Bourvil, et l’on ne sait pas assez que Jean-Luc chante, admirablement, les airs de Trénet, comme « La jolie sardane » ou l’admirable « Fidèle ») : voilà ce qu’il nous fredonne aujourd’hui avec verve, drôlerie, tendresse, faconde et ferveur, dans un livre qui tient dans la main comme un mouvement d’amitié.

Si je ne citais qu’un seul de ses textes, ce serait sans doute son « p’tit » chef d’oeuvre à la Prévert, consacré au « p’tit blanc ou (au) p’tit coup de  blanc », domaine dans lequel il est proprement imbattable.

« Le p’tit blanc est un vin de fantaisie. Il ne supporte en aucun cas la réflexion oenologique. Le p’tit blanc se lape, il ne se boit pas. Le p’tit blanc « se chante sous la tonnelle quand les filles sont belles« , c’est dire qu’il se liche, la bouche en croissant de lune. On ne sait rien de lui. On se demande même parfois si le vigneron s’est occupé de son éducation. Il est forain, saltimbanque. Il plante son chapiteau dans le bec du gobeur de vie sans prêter à conséquence. Il est sauvignon parfumé comme un bonbon. Il est une pirouette du matin. Le p’tit coup de blanc annonce la libération du palais engourdi par le café du matin. Le p’tit coup de blanc, c’est déjà un week-end  au coeur de la semaine. Il est annonciateur de la beauté et de la volupté. Il ne se goûte pas par petites gorgées. Il se boit d’un coup comme un trait de TGV à la hauteur de Mâcon » (…)

Bien sûr, on ne peut tout citer. Mais c’est dire d’avance que ce livre court – évidemment petit – est dense, riche, verveux avec allégresse, généreux avec tendresse, et que tout ce qu’il propose c’est de glaner quelques moments de bonheur, de les voler au temps qui passe. Bref, qu’il vous embarque pour un bien joli voyage. Et que sitôt la dernière escale abordée, on a bien envie de tout recommencer.

Petit lexique du petit, de Jean-Luc Petitrenaud (Stock, 13 €, 126 pages).

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Publié le 22 octobre 2011 par

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  • lobster

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