Le Donjon au domaine Saint-Clair
« Etretat : les malices végétales et marines de Gabin Bouguet »
Il s’appelle Gabin Bouguet, a 34 ans et est le wonderboy du moment à Etretat, au coeur du Donjon, la perle gourmande, décorée par Jean-Charles de Castelbajac, dans l’esprit Cocteau, du domaine Saint-Clair. Formé au lycée professionnel Clément-Ader, à Bernay dans l’Eure, passé chez l’étoilé rouennais Marc Tellier, alors roi local du poisson à l’Écaille, chef de partie, une première fois, au Donjon d’Étretat, parti pour le nord de Londres seconder le français Pascal Canevet à Maison Bleue, il revient à ses sources normandes, juste avant de refuser un poste en Australie.
Coaché par la bûcheuse et ardéchoise Mélanie Serre, il a vite gagné ici une étoile que lui ont valu ses subtiles recréations néo-normandes, à la fois marines et végétales. Pas de viande chez lui, mais la pêche de la criée du jour, des crustacés et des coquillages de la Manche et de l’Atlantique, plus des légumes des jardins environnants. Des idées de ce qu’offre ici le menu dit « Horizon » : le superbe tartare de haddock au goût fumé adouci par une fine brouillade d’œufs comme une mise en bouche de classe, un confit d’oignons à la crème de parmesan parfumé à l’eau de vie de cidre et une tuile croustillante parmesan qui claque comme une belle surprise moelleuse, craquante et acide, ou encore une langoustine crue, avec algue et jus corsé, plus un crémeux de chou fleur, d’allure enjôleuse.
Le « trou normand » ? Il est singulier, marin, végétal et iodé, mêlant l’huître glacée, la pomme, le céleri, avec une infusion à l’araignée de mer et une feuille d’huître ou huître végétale (« oyster leaf ») qui fait digérer en fraîcheur. On glisse ensuite sur les subtiles coquilles Saint Jacques finement et légèrement panées, avec leur mayonnaise aux algues et d’exotiques – ici, sur la côte d’albâtre – olives de Kalamata, avant ce joli couplet sur la pêche du jour que constitue le cabillaud nacré se mariant au caviar Sturia et se posant sur une émulsion de pommes de terre que relève une fringante sauce vin jaune
On ne loupe pas le chariot de fromages normands commenté avec envie et gourmandise par la maternelle Véronique qui vous fait découvrir ainsi un « gouda normand » aux herbes, un coeur de Neufchâtel du pays de Bray et un splendide camembert du « Champ Secret » dans l’Orne, le tout issu du marché de jeudi à Etretat. Difficile de faire plus régional! Les vins en accord sont proposés avec malice par le sommelier Marc-Grégoire Cahagne, passé en Angleterre, mais qui a l’oeil sur tous les vignobles français.
On goûte aussi, au verre, le-Stierkopf (pinot blanc, riesling 2018) de Marc Kreydenweiss à Andlau, la cuvée « mélancolie » (avec grenache et carignan blanc, mais aussi macabeu) en 2017 du domaine Ledogar dans l’Aude, le côtes du Jura très savagnin, donc très noiseté en 2016 de Berthet-Bondet, le meursault les clous 2019 d’Éric Bougelot, enfin, avec les fromages, le châteauneuf du Pape « Trilogies », sans doute un peu jeune en 2020, du domaine Fontavin.
Sur les doucers, on goûte le « givré », qui fait songer au cidre de glace des Québécois, de la famille Dupont à Victot-Ponfol. Et, en dessert, la composition meringue, fraises, émulsion de litchi et condiment main de bouddha (mieux que les agrumes avec ce beignet réhydraté à l’huile d’olive un peu sec, malgré la crème citron et la ganache pistache). Ludique et inspirante, voilà une balade gourmande et normande qui vaut l’étape.