La nature humaine selon Joncour

Article du 2 décembre 2020

Humain, trop humain, c’est Serge Joncour que l’on vanta pour l’Ecrivain National et Repose-toi sur moi,  et qui poursuit sa quête de ce grand récit humaniste qui semble baliser son oeuvre. Le voilà couronné par les dames du jury Fémina, pour un grand roman paysan qu’aurait pu signer Claude Michelet, l’auteur des Grives aux Loups et des Palombes ne passeront plus, mais dans une lecture sans doute plus contemporaine, actualisant avec malice, précision, célérité, la situation très menacée du monde paysan dans un univers bouleversé, global et standardisé. Alexandre, son jeune héros, est un fils de paysans, cultivateur à son tour, désireux de conserver le domaine familial, dont ses parents se retirent peu à peu, que quittent ses trois sœurs et dont il est l’ultime témoin. Ni passif, ni franchement militant, même s’il participe ponctuellement aux luttes de quelques intellos écolos, altermondialistes, qui se battent contre la transformation du plateau du Larzac en camp militaire, contre l’installation d’une centrale nucléaire à Golfech et contre la future autoroute qui pourrait défigurer le domaine des Bertranges, au cœur du Lot, dont il est le gardien modeste, le conservateur éclairé, avant d’en être le modernisateur modéré.

L’action du livre se déroule entre le brûlant été 1976 et les derniers jours du XXe siècle. On voit Alexandre grandir,  prendre son envol, écouter son père hostile à tout modernisme, à la télévision, au téléphone, prêter plus qu’une oreille à Crayssac, communiste, éleveur, élu, sage et réactionnaire à la fois, relayer Xabi et Anton, l’un basque, l’autre allemand, qui sont prêts à employer la violence pour préserver la terre, tomber amoureux de la belle Konstanze, venue de Leipzig en RDA, qui voyagera de Berlin en Inde, sans jamais l’oublier, lui qui refuse de prendre l’avion et de s’éloigner plus loin que Toulouse. On suivra les pas d’Alexandre jusque fin décembre 1999, avec son désir de prolonger un monde qui bouge trop vite, le menace, comme il s’en prend à nos modes de vie, de production, d’alimentation.

Humain, trop humain, Serge Joncour, comme toujours, comme nous le soulignons lors de la parution de ses précédents livres, fait de ce grand roman paysan une sorte de thriller initiatique, entre le roman d’apprentissage, l’ouvrage historique, le récit choral. Il raconte avec force, s’attache à ses personnages avec fougue, nous mène avec lui dans le maestrom de l’histoire qui broie les silhouettes trop fragiles comme des fétus de paille. Un grand Joncour, un beau livre…

Nature humaine de Serge Joncour (Flammarion, 398 pages, 21 €).

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Publié le 2 décembre 2020 par

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