Le Carré le retour

Article du 23 juin 2020

Mister David Cornwell dit John Le Carré ne baisse pas les bras. Mieux, il explore le « retour de service » (en anglais : « Agent Running in the Field ») de Nat, qui n’a que la moitié de son âge, mais joue déjà sa pré-retraite et sa fin de carrière à 47 ans (le Carré, lui, pour être juste, n’en n’a « que » 88…).

Nat, russophone et expert en « retournement » d’espions, revient à Londres, après une longue mission à Tallin en Estonie. Coincé entre sa femme Prue, avocate de gauche, sa fille Stéphanie, instable et révoltée, et ses supérieurs et soi-disant amis du « Bureau » et de la « Maison Russie », il est chargé de remettre en route un service obscur de bras-cassés nommé « le Refuge« , afin de réintégrer des agents simples ou doubles, d’où émerge la jolie mais obstinée Florence jugée, par sa hérarchie, peu mature, donc peu sûre. Champion de son club de badminton, défié par le jeune et mystérieux Ed, qui s’avèrera un adversaire coriace et un ami à double ou triple sens, Nat, qui est sans nul doute l’interprète de Le Carré, révèle ses sentiments à l’égard de l’Angleterre contemporaine en proie à la fois au Brexit et à la Trumpmania. Nous sommes là dans l’Angleterre de 2018, un pays-charnière, tiraillé entre ses démons, qui compte toujours la Russie d’aujourd’hui au nombre de ses ennemis.

Quand il s’agit de décrypter les mensonges d’un agent entre deux mondes et les pensées d’un jeune homme d’aujourd’hui fasciné par la culture allemande et révulsé par l’Amérique de Donald Trump (ce dernier y est vu en « nettoyeur de chiottes » de Poutine, ni plus ni moins), on retrouve, actualisées, modernisées quoiqu’édictées avec une parfaite fidélité les obsessions anciennes de l’auteur de « l’Espion qui venait du froid » et de « Une petite ville en Allemagne ». Tout cela pour dire que ce nouveau Le Carré, qui fait une juste place aux hommes et aux femmes qui s’activent à garder leur humanité dans la grande histoire broyeuse d’âmes, est un grand cru bien digne de de ses meilleurs titres, des « Gens de Smiley » à « Comme un collégien ». Ne loupez pas ce « Retour de Service »!

Retour de Service de John Le Carré, traduit de l’anglais par Isabelle Perrin (le Seuil, 303 pages, 22 €).

A propos de cet article

Publié le 23 juin 2020 par

Et vous, qu'en avez-vous pensé ? Donnez-nous votre avis !