J’ai bien connu Denis Jeambar, qui fut mon rédac chef au Point et se rêvait en Fitzgerald à la française, avant de filer à Europe 1, puis à l’Express, puis au Seuil en grand patron fugueur. Instable, amoureux de la prise de risque, réfléchi et vif à la fois, fils spirituel de Claude Imbert qui lui donna « ce qu’il avait de plus cher au monde: son fauteuil », Denis n’oublie pas, dans cette galerie des monstres sacrés, de rendre hommage à celui qui fut et demeure son père en journalisme. Comme il fut l’un des miens.

Et c’est peu dire que son livre est émouvant. Cette cinquantaine de « portraits crachés » (dont le genre lui fut suggéré, il le confesse en liminaire, par Jean Cau et ses « Croquis de mémoire ») touchent au coeur. Mitterrand qui a « le cul bas », mais les idées hautes, imagine sa position pharaonique post-mortem (« je crois aux forces de l’esprit »), Sarkozy croqué avec un mélange de férocité et de tendresse (« il n’aime pas les autres mais ne supporte pas que les autres ne l’aiment pas »), Hollande avec une évidente sympathie en « Pompidou de gauche », jouxtent ici les gens de medias, les artistes de la musique, les écrivains.

Daniel Filipacchi en prince du mystère sous ses éternelles lunettes noires et ses airs de reclus amoureux fou du désir, comme un Howard Hugues à la française, Charles Pasqua en monarque de banlieue au bord de la chute, Claude Klotz en marathonien de l’amitié, Jean-François Revel en penseur génial et en buveur fou, Pierre Bérégovoy en Petit Chose vaincu par son honnêteté ou sa candeur ou Erik Orsenna tout en éclats de rire et oeil qui brille: ces portraits crachés hésitent en coups de griffes et frottement d’épaule, coups de grisou et coups de coeur. Il y a là une myriade de jolis textes à lire, relire et méditer pour mieux comprendre l’espèce humaine.

Portraits crachés, de Denis Jeambar (Flammarion, 257 pages, 19,90 €).