Restaurant Europea
« L’Européa: une grande table à Montréal »
Jean-André Charial de l’Oustau de Baumanière m’avait mis la puce à l’oreille: « il faut que tu ailles à l’Europea, c’est « la » table montréalaise du moment« . De fait, Jean-André, qui voyage et fut notamment conseiller du voisin Sofitel, connaît bien la demeure. C’est là que travaille sa fille, en chef adjoint de cuisine, elle qui fut au Prieuré de Villeneuve les Avignon, après sa formation chez Nadia Santini au Dal Pescatore. Chez Jérôme Ferrer, narbonnais conquérant, québécois depuis une décennie, l’air de la vieille Europe rencontre le nouveau monde avec brio.
C’est de ce choc des contraires qu’est faite cette cuisine fine, vive, savoureuse, épurée, où les saveurs sont nettes et les produits de la terre comme de la mer exaltées. Des exemples? Son superbe cappuccino à la crème de homard et copeaux de truffes, son bonbon de filet de bar au yuzu avec feuille de laitue et riz en « nuage d’air » ou encore ses pétoncles aux billes d’eau de mer passent comme un souffle. Un air de légèreté grande passe sur cette version catalane de la cuisine québécoise.
Les saveurs du Sud, celle du grand Midi, et de l’Ouest lointain fraternisent ici avec brio. Le calmar en tagliatelle façon carbonara, une idée que mit joliment en avant et pratique toiujours Jean-François Piège au Thoumieux à Paris, est ici construite en assiette ultra sophistiquée en noir et blanc, avec oeuf de caille poché et caviar de citron, mais sans que le goût en pâtisse.
On aime aussi, même s’il est un peu trop salé, le carpaccio de boeuf laqué façon Rossini avec son foie gras à basse température, sa salade de lentilles, son algue et gingembre. Mais l’un des clous du repas et cette splendide volaille au foin (selon une idée qu’on vit jadis chez Alain Passard à l’Arpège), qu’est la poule de Cornouailles, tendre et ferme à la fois, cuite en cocotte avec son infusion de galanga, ses topinambours et shitakés, ses bâtonnets de pomme verte.
Mais les ravioles fraîches à la ricotta et champignons, écume de cèpes, purée de truffe, enoki crus et jolis shitakés ne sont pas mal non plus. Avec cela, le jeune sommelier Jack Grimaudo, pur Montréalais, qui a peu voyagé, mais connaît tous les vignobles par coeur, joue des meilleurs crus d’ici et d’ailleurs: le pinot noir Malivoire de Bramsville Bench, le chardonnay vieilles vignes Laily de Niagara River, le riesling Foreign Affair de Niagara Peninsula racontent un Canada vineux en train de monter tranquillement en gamme.
Il y aussi le cabernet sauvignon/merlot Three Constantia Glen de Jacques Hébrard, ex Cheval Blanc, en Afrique du Sud, ou le splendide cornas Les Terrasses de Serre de Mathieu Barret pour revenir en France via les rivages du Rhône, qui fait une splendide escorte pour la poule de Cornouaille. On abrège encore avec des desserts qu’un rivesaltes ambré relèvera à point: glace chocolat blanc et son damier, mini pâtisseries séductrices, nougatine chocolat et glace au sirop d’érable. Bref, une demeure de haute volée, qui est entré l’an passé dans le giron fermé des grands chefs des Relais & Châteaux. On reparlera de Jérôme Ferrer.