Né à Trieste, attaché à sa ville natale qui est l’un des épicentres de la mouvante Mitteleuropa, mais vue du bout de l’Italie, proche de la Slovénie, de la Croatie ou de l’Autriche, Claudio Magris est un écrivain à la fois italien et cosmopolite, rompu à l’usage du monde. Il observe ses semblables avec justesse. Sa gravité est tempérée par l’humour et la nostalgie. L’art de la comparaison, celui de la relativisation donne à chacun de ses textes une sorte d’aura universelle. Sous le titre d’Instantanés, il rassemble des choses vues, des remarques éparses, des leçons de choses et un certain art de tout prendre avec mesure. Une colombe morte dans un parc de sa ville natale, la guerre des Balkans évoquée depuis le comptoir d’une auberge triestine, un colloque littéraire à Budapest, un banquier allemand qui se remarie avec la veuve de Willy Brandt et s’en vante parce qu’avec elle « il peut être libre de manger ou non le soir« , une exposition artistique chez Leo Castelli à New York, une terrasse panoramique abritant un cocktail et ses parlotes amusées sur l’amour, un couple libre dans un congrès, les couleurs fringantes de Trieste et le souvenir de Joyce ou de Goethe, un bar de nuit à Stockholm où s’éprouve la distance ou la proximité du profane et du sacré, une auberge en forêt où la patronne, veuve, s’ouvre enfin aux autres, à Istanbul, à Varasani en Inde, en suivant les précepte d’un livre de recettes russes et un voyage d’écrivains à Gorki, à Blois, lors d’un colloque sur la l’Europe de l’Est, et à Berlin lors de la réunification, à Léningrad à l’ombre d’une cathédrale ou en Norvège dans une église, dans un train rapide reliant Milan à Trieste, Magris refait le monde, observe ses semblables, raconte, s’interroge. « Vivre est très dangereux, on en meurt« , comme le suggère un écrivain polonais qu’il cite avec malice.