La Grande Arche vue par Laurence Cossé

Article du 11 février 2016

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Laurence Cossé ? On la connait et on a la suit depuis tant et temps… Les bancs de sciences po, ses débuts en littérature avec « les Chambres du Sud » (1981), ses romans drôles, vifs, surprenants, qui savent prendre en compte l’actualité, comme le très réussi « 31 du mois d’août » (2003), où l’on partait en quête de la conductrice de la Fiat Uno qui aurait provoqué l’accident de voiture de Lady Di. On passe sur « La femme du premier ministre » et sur « Grand Bonheur » et l’on note que les livres de Laurence C. tournent souvent autour de la question du pouvoir. Ce qui est bien le cas de celui-ci. « La Grande Arche » traite ni plus ni moins, en 350 pages denses, touffues, fouillées, de la construction de la Grande Arche de la Défense, de ses aléas, de ses choix, de ses tergiversations, de ses querelles internes et ouvertes, de ses labyrinthes, de ses coulisses, de ses incompréhensions. La France, qui est mise en question c’est non seulement celle de Mitterrand, de ses atermoiements, au temps où le vœu du prince faisait tout – alors qu’il n’avait pas si mauvais goût -, mais aussi bien la nôtre, qui ne sait pas choisir, louvoie, disserte, se fige dans ses poses et ses postures, se perd dans ses hésitations, dans le méandre de ses influences zigzagantes, par opposition au Danemark, qui serait plus rigoriste, plus serein. L’architecte en chef de la Grande Arche, lauréat du concours presque malgré lui, est, en effet, l’inconnu Johan Otto von Spreckelsen, danois, méconnu, même chez lui, auteur de quatre églises, professeur aux beaux-arts de Copenhague, qui est à la pêche quelque part dans le Jutland quand son nom est tiré d’une enveloppe.

Laurence Cossé raconte le tout avec minutie, le choix de Spreckelsen, ses heurts et malheurs, ses réticences à accepter des collaborateurs français, et celles de ceux-ci à accepter son caractère rigide ou impénétrable,  ses matériaux nobles et coûteux (le marbre de Carrare!), sa mort précoce. Elle interroge tout le monde, fonctionnaires, politiques, architectes, protagonistes de premier et d’arrière-plan. Lion, Andreu, Reitzel, Deslaugiers, se heurte au refus de la femme de « Spreck » de s’exprimer – se drape-t-elle dans sa dignité ?  Ce faisant, elle tisse une trame qui pourrait être celle d’un roman policier. Il y a les hommes de l’ombre, les affairistes (dont Christian Pellerin, le « roi de la Défense » qui finira en prison, mais pas seulement), les politiques (Chirac, Juppé, Badinter, Kiejman, Edgar Faure), avec les changements de majorité. Bref, de quoi bâtir un roman politico-mafieux à l’italienne. Ce que, bien entendu, ce livre n’est pas: ni un roman, comme l’indique à tort l’éditeur, ni même un récit linéaire, mais une enquête fouillée, tenace, impitoyable. Voilà bien un formidable « docu-fiction » qui fait s’interroger sur le pouvoir et ses serviteurs et ce curieux monument qui prolonge l’axe Louvre-Arc de Triomphe avec superbe, indiquant, tout de même, que le règne de Mitterrand – avec ses rêves de bâtisseur – ne fut pas sans grandeur.

La Grande Arche, de Laurence Cossé (Gallimard, 355 p, 21 €).

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Publié le 11 février 2016 par

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