Le Noir Gourmet à l'Hôtel Domicil Leidinger
« Sarrebruck: Lenoir, Jens Jacob et le service »
Ce quadra bougon, né en 1972 à Sarrebruck, est l’autre grand chef de sa ville. Formé chez la pionnière des étoiles dans la région, Margaret Bacher à Neunkirchen, Jens Jacob a poursuivi chez Légère dans sa cité natale, puis trois ans chez Klaus Erfort, le trois étoiles local. Il s’est installé, dans la même rue que son dernier maître, obtenant son premier macaron, l’année de son installation, en 2007, puis le second en 2012. Il s’est déplacé de quelques numéros, toujours dans même rue gourmande, dans l’hôtel Leidinger, dont il supervise les espaces de cuisine: bar, restaurant méditerranéen (S’Olivo), boutiques, enfin Le noir Gourmet où il a retrouvé ses deux étoiles.
Là, dans un cadre sobre, donnant sur un jardin intérieur, il travaille en labos ouverts, sous ses baies vitrées face à la salle, à proposer une cuisine créative, fine, légère, changeante, qui se distille au gré d’un joli menu à tiroirs. Le midi, une formule peu chère permet de découvrir une esquisse de son talent. Mais c’est le soir que Jens Jakob déroule ses belles idées du moment. Il y a d’abord la ronde des amuse-gueule, les mises en bouche pleines d’allant, comme cette fine crème à l’ail des ours ou cette poitrine de porc aux légumes, carottes et pommes de terre.
Viennent ensuite les choses sérieuses, comme ce délicat pavé de foie gras d’oie présenté de façon pâtissière, avec sa glace et sa fine gelée de mangue et passion, le moelleux saumon fumé des îles Féroé aux asperges et petit lait, le ravioli au jaune d’oeuf aux calamaretti, homard et chou-fleur, le ris de veau poêlé aux petits pois et jus de truffe, enfin la caille dite impériale avec sa variation de chou rave et sa mousseline de champignons crémés.
C’est fin, vif, délicat et frais. Les assiettes, qui ont la mise esthétisante, évitent le chichi. Là où le bât blesse? Le service qui semble courir après son ombre, se perd d’une table à l’autre, se trompe dans les explications de plats (en Allemand!), annonçant, par exemple, un foie gras de canard quand il s’agit d’un foie gras d’oie. On ajoute une carte des vins trop courte, avec, de plus, de multiples appellations barrées, truffée de fautes d’orthographe, pas seulement en français: Avignonesi en Toscane affublé d’un « v » intempestif entre le n et le e, vieilles vignes devenu systématiquement vielle vigne, le Marquis d’Angerville, prince de Volnay, domicilié à Meursault. On en passe…
Le problème est que la demeure a deux étoiles et que l’on est forcément plus sévère avec une direction de salle pour tout dire absente. Le conseil du vin est d’ailleurs un peu faiblard, avec un liminaire un riesling un peu doux (le Scivaro 2013 en Moselle du Dr Siemens), un autre plus vif et plus minéral (le 2013 de Clemens Busch à Pünderich), enfin un château Ségur haut médoc très tannique apporté en catastrophe, alors qu’on réclamait un rouge régional. Bref, avec un service plus posé, plus adéquat, plus agile, bref plus présent, on se dit que ce Le noir qui joue les seconds rangs de sa ville avec élégance au sein de l’hôtel Leininger serait vraiment à son niveau.
Un bon point, en revanche, aux desserts, rafraichissants, digestes, fruités. Comme ce joli sorbet goyave avec ses fruits exotiques et sa nage de champagne en préliminaire, puis cette jolie composition sur le thème de la fraise et de la rhubarbe avec sa quenelle de fromage blanc et son onctueuse glace de la même nature.
Bref, telle quelle, la maison vaut d’être découverte pour le seul plaisir de la gourmandise. Les menus de la maison et la gestuelle du chef en cuisine, sous ses vitres avec son équipe, elle, bien rodée, méritent, eux, l’attention du gourmet curieux.