Lac de Côme: un hymne à l’amour

Article du 11 octobre 2014
La Villa d'Este © GP

La Villa d’Este © GP

Les eaux du lac jouent avec la couleur du ciel. Les teintes sont douces ou vives selon l’éclat du soleil. Les arbres foisonnent, les fleurs jouent une symphonie heureuse. Un poème ou un lac? Les deux, sans doute, qui firent rêver peintres et musiciens, écrivains et hommes d’Etat.  Chaque villa, disséminée sur les hauteurs, ou flirtant avec les rives, cacha une histoie d’amour. A Bellagio, Franz Liszt et Marie de Flavigny, qui abandonna pour le compositeur son mari le comte d’Agoult, s’aimèrent passionnément, donnant naissance à la future Cosima Wagner. Alessandro Manzini, né à Lecco, y situa son roman fameux: “ les Amants ”. Stendhal, qui y débuta, juste après l’entrée de Napoléon dans Milan, “ la Chartreuse de Parme ”, note que “ tout (y) est noble et tendre, tout y parle d’amour”.

Villa au bord du lac © GP

Villa au bord du lac © GP

Ce qui plaît ici, constituant un décor romantique, par excellence? L’étroitesse du lac qui fait se mirer une rive sur l’autre, l’à-pic des montagnes qui semble filer du ciel -au delà de 2000 mètres – vers l’eau, le couronnement neigeux des montagnes, au-delà, vers la Suisse, mais aussi les villages de pêcheurs inchangés depuis trois siècles, les petites églises, les nobles demeures, les jardins luxuriants: bref, une sorte de paradis sudiste, au pied de l’Europe du milieu, préservé des avanies du temps.

Place de la cathédrale à Côme © GP

Place de la cathédrale à Côme © GP

On pourrait séjourner à Côme, sans heurt. Cette ville moyenne de 96000 habitants, lorgne le lac qui porte son nom, comme une sentinelle et semble le surveiller de loin. Sa silhouette découpée depuis le rivage proche de Cernobbio possède une sorte d’altière noblesse. Un groupe de maisons s’avance vers l’eau, surmonté du dôme de la cathédral, le Duomo, qui frappe pourtant de près par la simplicité de sa façade de style gothico-lombard.  Côté pile, face au lac, la piazza Cavour joue les élégantes, avec ses façades d’hôtels sobres, ses jardins, ses terrasses. Côté, face, mais il faut alors vouloir se perdre dans le dédale des rues serrées, Côme est une “ belle italienne ” comme il s’en trouve tant dans la péninsule.

Sur une place à Côme © GP

Sur une place à Côme © GP

On dérive via Vittorio Emanuele, on longe les vitrines charmantes, qui proposent beaux vêtements, oeuvres d’art, gelati aux cent parfums, vins à découvrir de toute la Botte, gourmandises pâtissières. On s’arrête chez Belli, pour un “ ristreto ” au comptoir ou une tarte aux fruits à l’une des tables dans ce qui figure un salon de thé-institution depuis 1915 et l’on peut continuer la flânerie sans heurts. La piazza San Fedele, qui fut jadis celle du grand marché au blé, marque la limite de la ville médiévale. Le musée civique est double, archéologique et historique (ce dernier dans une demeure dédiée au héros national, Garibaldi, qui se maria pour la quatrième fois dans la proche villa d’Olmo), la pinacothèque Volpi, avec ses portraits de l’école flamande et les toiles des artistes lombards: voilà qui rappelle l’ancienne richesse de la cité.

Osteria à Côme © gP

Osteria à Côme © gP

Elle fut aussi la capitale italienne de la soie. Dès 1510, Pietro Boldoni y propage l’élevage du ver et des cocons. En 1733, 2500 des 14000 habitants de la ville travaillent dans les manufactures qui exportent leur travail dans toute l’Italie du Nord et en Allemagne. Au XIXe siècle, se développe la mécanisation du tissage et la province de Côme traite 50% de la soie italienne. Aujourd’hui, plus de 450 entreprises travaillent ce tissu précieux, importé d’Asie pour des raisons économiques, mais travaillant à demeure tissage, impression, teinture. Dans un faubourg un peu industrieux de la ville, qui montre aussi que Côme s’est développée au-delà de son centre historique, un musée raconte son histoire, l’étendue de son travail, présentant les machines à tissus, vieux outils, jacquards, matériel d’impression. Et les boutiques ne manquant pas en ville qui produisent les produits fabriqués dans les divers entreprises comasques.

A une terrasse à Côme © GP

A une terrasse à Côme © GP

Mais ce n’est là qu’un prélude au voyage. On peut silloner le lac – 163 km de long, sinon le plus étendu, du moins le plus profond d’Italie avec un maximum de 410 mètres – en hydro-glisseur (“ alyscafo ”). L’embarcadère de la piazza Cavour rallie les cités proches – de Cernobbio à Cadenabbia -, mais la plus douce des routes est celle qui file à la paresseuse en direction de Bellagio, chemin secret, sinueux, sur une route étroite parsemé de fleurs, villas, jardins, églises. A Blevio, la villa Taglioni porte le nom de la danseuse romantique qui y vécut au milieu du XIXe siècle. A Torno, où l’église à l’intérieur baroque, domine le petit port, les villas sont comme enfouies dans les arbres. L’une d’elle, transformée en modeste hôtel – mais c’est l’une des rares adresses peu chères de l’itinéraire – porte le nom de Flora. Un peu plus loin, isolée sur le lac, c’est la Pliniana, vaste villa jaune délavée que bâtit le comte Giovanni Anguissola de Piacenza qui s’y réfugia après avoir participé au complot mortel contre Pier Luigi Farnèse. Byron, Stendhal, Liszt en furent les visiteurs éblouis. Rossini y composa Tancrède.

Vue de la Villa Carlotta © GP

Vue de la Villa Carlotta © GP

Les villages isolés se succèdent. Pognana Lario, Careno, Nesso. Dans ce dernier, les ruines du château des Sforza et le précipice dit Orrido di Nesso impressionnent. Lezzeno s’étage sur les collines, s’étend sur neuf kilomètres de long, les maisons épousant le lac. Une de ses anciennes auberges est l’une des plus pittoresques du parcours. C’est la Crotta del Misto (“ grotte des mélanges ”). Vittorio Posca, à qui on doit à la fondation du le club de sports nautiques du lieu, accueille avec verve, fait visiter la cave qui borde la terrasse au jardin, fait goûter le rouge pétillant qu’il produisait jadis lui-même sur les sentes proches et donne un cours sur la variété des poissons locaux.

Villa del Balbiano © GP

Villa del Balbiano © GP

Saumonette, lavaret, truite sont traités en terrine, en “ capionata ”, c’est à dire frit en escabèche, en risotto avec ail et fines herbes. Le roi du lieu? L’alose, qui fut jadis le poisson des pauvres se gardait dans le sel, se conservant plusieurs mois, écaillé, exposé au soleil, enfilé sur une ficelle, présenté séché, tel un hareng lacustre, pressé en éventail, dans des baquets d’où s’échappe l’huile par un orifice. Pour le “ réveiller ”, on lui adjoint huile d’olive et vinaigre, on le grille légèrement et on le sert avec la polenta: c’est le “ missoltini ”, préparation-star de la région.

Villa Richard Branson © GP

Villa Richard Branson © GP

De Lezzeno à Bellagio, la route est presque rectiligne. On longe un vaste parc: c’est l’un des plus beaux du parcours. Azalées, rhododendrons, séquoias, hêtres rouges. Là, un petit temple de style mauresque comme un kiosque, ou, comme disent les Anglais amoureux de l’Italie, un gazébo en sentinelle sur l’autre rive. Là, encore, une grotte couverte de mousse, une statue égyptienne, une vaste demeure blanche avec ses volets clos, son pavillon qui abrite comme un musée des fresques néo-Renaissance retrouvées. C’est la Villa Melzi: un de ces lieux-miracles dont le lac de Côme est friand.

Villa Carlotta © GP

Villa Carlotta © GP

D’ici, la promenade est délimitée par des arbres au long du lac et le regard sur l’autre rive, Tremezzo et la Villa Carlotta, sa grande rivale, est souverainement rêveur. On pourrait ne venir à Bellagio que pour la Villa Melzi et son parc idéal. Mais c’est tout le bourg qui mérite la halte, la visite prolongée, l’étape heureuse. Il est d’autres jolies villages, bordant Côme, Ravenne avec ses venelles, Dongo, Menaggio, Gravedona. Mais il y a, à Bellagio, comme un résumé de l’Italie tel que l’imaginaient les voyageurs des siècles passés.

Grand Hôtel Tremezzo © GP

Grand Hôtel Tremezzo © GP

Maisons adossées à la montagne, hôtels bordant le “ Borgo ”, ruelles montueuses qui escaladent le haut du village, villas paisibles dans leur parc, telle la Villa Serbelloni (à ne pas confondre avec le grand hôtel du même nom), qui appartient à la Fondation Rockfeller et fait mirer ses jardins à l’italienne. Du promontoire qui domine le lac, Flaubert note dans son journal de voyage, au printemps 1845, qu’il admire ici “ un spectacle expressément créé pour la joie des yeux ”.

Grand Hotel Villa Serbelloni © GP

Grand Hotel Villa Serbelloni © GP

On se hasarde dans les venelles grimpantes. On va choisir ses chaussures chez les frères Rolando qui tiennent boutique élégante et discrète à deux pas de la piazza Mazzini où se trouve le petit port, les terrasses, l’embarcadère. On prend un “ ristreto ” au Caffè Rossi, juste avant de prendre le ferry pour gagner l’autre rive.  Ce sera comme un autre voyage. Griante Gadenabbia, Tremezzo, son palace à haute façade Belle Epoque, qui a subi une rénovation intérieure hasardeuse dans les années 80. C’est l’occasion de faire halte à la Villa Carlotta. Musée, jardins variés, escaliers montueux, demeure altière: ce fut la propriété de la princesse Marianne des Pays Bas qui la donna à sa fille, Carlotta De Nassau, épouse du prince Saxe-Meiningen. D’où la grille de fer forgé avec couronne hollandaise qui intrigue le visiteur à l’entrée.

Bateau Milano © GP

Bateau Milano © GP

La salle des marbres, les sculptures de Canova (dont le fameux “ Amour et Psyché ”), la frise de Thorwaldsen (“ Tromphe d’Alexandre le Grand à Babylone ”) requièrent autant que les jardins à l’anglaise et à l’italienne, qui se prolongent d’un jardin sec japonais sur les hauteurs. Floraisons d’azalées et de rhododendrons, terrasses étagées ménageant des vues sur les montagnes vis à vis, les demeures de Bellagio et les jardins de la Melzi juste en face: c’est comme si les deux côtés du lac se répondaient ici-même, se parlaient, échangeaient des souvenirs. On pourra reprendre le chemin vers Côme et Cernobbio en longeant simplement la rive vers le sud. Azzano, Lennno, son baptistère octogonal du XIe siècle, son promontoire, sa délicieuse Villa del Balbianello qui appartint au cardinal Tolomeo Gallio. On s’arrête chez Piero et Osvaldo Luciano qui produisent la seule huile d’olive du lac, issu d’olives vertes récoltées avant maturité, ce qui donne à ce pur jus, issude première pression à froid, sa fraîcheur, son rien de verdeur revigorante.

Arrivée à Bellagio © GP

Arrivée à Bellagio © GP

C’est encore la simple beauté d’Ossuccio, le sanctuaire proche de la Madonna del Soccorso et la mystérieuse villa Balbiano. Puis Ospedaletto, avec son église romane que surmonte un clocheton gothique comme un phare sur le lac, son île proche, l’Isola Comacina, où flotte le drapeau belge: un habitant de Sala Comacina, qui en devint propriétaire en 1911, la légua au roi Albert Ier qui l’offrit à son tour à l’Académie des Beaux-Arts de Milan pour y accueillir les artistes.  Puis, c’est Argegno, et son funiculaire qui permet d’accéder au sommet du Pigra, à 881 mètres d’altitude, offrant une des plus belles vues du lac. Brienno, Torrigia, Laglio, enfin Moltrasio, au pied du Mont Bisbino: Bellini y composa “ la Somnanbule ” et “ Norma ” pour la cantatrice Giuditta Pasta. On murmure que lorsqu’il voyait un drapeau arrimé à la fenêtre de son amoureuse, il filait la rejoindre en bateau: c’était signe que le mari de celle-ci était parti et que la voie était libre…

Vue de la Villa Carlotta © GP

Vue de la Villa Carlotta © GP

Riche de tant d’histoires passionnées, Côme trouve à Cernobbio l’un des plus belles haltes d’Europe, l’une des ses plus prestigieuses aussi. Acquise au XVIIIe siècle par le marquis Bartolomeo Calderara pour la ballerine Vittoria Peluso, elle revient à cette dernière après le décès du marquis plus âgé. “ La Pelusia ” fit bâtir dans le parc des ruines romantiques pour son nouvel amour, le général Napoléon, comte Domenico Pino.  Elle ne sera un hôtel qu’en 1873 qu’après avoir appartenu à Caroline de Brunswick, future reine d’Angleterre et sera célèbre sous le nom de Villa d’Este. Un symbole du lac que le monde entier vient admirer? Bien sûr, et surtout un signe de sa beauté qui perdure et de sa magie intacte à travers les siècles changeants, comme une promesse de bonheur.

A la Villa d'Este © GP

A la Villa d’Este © GP

Renseignements: Province de Côme, secteur Tourisme, Via Borgovico, 171. Côme. Tél. 031 2755595

Site: www.lakecomo.com

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Publié le 11 octobre 2014 par

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