Patrick Modiano à « Chevreuse »

Article du 6 octobre 2021

Qui disait que poursuivre une oeuvre ressemblait à enfoncer un clou? La manière Modiano, sa magie, ses obsessions, ses travers, ses codes, ses chemins de traverse, tout ce qu’on aime retrouver chez lui se retrouve aujourd’hui dans « Chevreuse ». Au passage, un clin d’oeil à la duchesse du même nom, entr’aperçue dans les mémoires du Cardinal de Retz, un livre que le narrateur de ce livre oublie dans un train de banlieue qui arrive en gare Saint-Lazare. Il l’y retrouvera. Comme nous retrouvons son double, Jean Bosmans, déjà convoqué par lui dans « l’Horizon ». Et Martine Hayward, croisée dans « Souvenirs dormants ». La trame de ce livre est simple : la recherche d’un souvenir, de personnages du passé pour quelques comparses en quête d’un trésor caché par une silhouette disparue. Entre un hôtel abandonné de la vallée de Chevreuse (l’Auberge du Moulin de Vert Coeur), une maison couverte de lierre à Jouy-en-Josas,  rue du Docteur Kurzenne, dont l’énoncé revient ici comme un leitmotiv obsessionnel, plus un appartement à Auteuil, un autre boulevard Berthier, quelques ombres furtives, un certain Guy Vincent, un improbable Pierre-Marco Heriford, un incertain Michel de Gama, lointain cousin de Vasco l’explorateur, à moins qu’il ne se nomme plus prosaïquement Degamat, Bosmans-Modiano tisse sa toile, vole un agenda de cuir, prend des notes pour un futur roman (« le Noir de l’été »…), égrène des souvenirs dont on ne sait plus s’ils sont de mauvais rêves, ou des lignes à suivre comme s’il lui fallait à tout prix imaginer un jeu de piste. « Ne pouvant revivre le passé pour le corriger, le meilleur moyen de les rendre définitivement inoffensifs et de les tenir à distance, ce serait de les métamorphoser en personnages de roman« , note-t-il à propose de ces « fantômes qui réapparaissent au grand jour » . Et tout Modiano est là, agitateur de silhouettes évanouies, voyeur d’ombres. Ressuscitant un passé enfoui. Avec des numéros hors d’usage comme « Auteuil 15.28 », des hôtels au nom anglais et vintage comme ce Chatham, des formules qu’on ne prononcerait plus guère aujourd’hui (« ce genre de jolies femmes ne supportent pas de vieillir« – ce à quoi un personnage lui répond : « et vous croyez qu’il n’y a que les jolies femmes qui ne supportent pas de vieillir, monsieur?« . Chevreuse? Du pur Modiano dans le texte. A savourer sans se lasser, reprendre, relire, s’échanger, s’offrir…

Chevreuse, de Patrick Modiano (Gallimard, 159 pages, 18 €).

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Publié le 6 octobre 2021 par
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