Mathis

Chez Mathis

On croyait qu’il voulait vendre, aspirant à une belle retraite, et le revoilà plus jeune, plus dynamique et plus fringant que jamais. Lui? Ernest Mathis, 3e du nom, gitant, depuis 1970, face à l’église protestante de Sarrebourg. Il est le doyen des grands chefs de Lorraine, pile à la porte de l’Alsace d’où lui viennent quelques uns de ses meilleurs clients.

Explication simple: chez Mathis, le rapport qualité/prix est exceptionnel. Ce « une étoile » qui en vaut deux offre tout le bonheur du monde à travers des menus formidables allant de 29 € le midi à 78 € avec une symphonie complète, où la manière de ce grand classique, formé chez papa, qui fait son marché à Strasbourg le vendredi matin et choisit les meilleurs poissons et viandes du moment, les légumes et fruits au mieux de leur forme, est explicitée avec ferveur. Chaque année, il annonce sa retraite et le coeur se serre.

Le maître d’hôtel Christophe, qui a dix sept ans de maison, assure que le jour où Ernest et sa délicieuse épouse Lili se retireront, il fera une croix sur son métier de salle, sachant qu’il ne retrouvera plus une ambiance pareille ailleurs. Il faut dire qu’il y a là une gentillesse naturelle difficilement quantifiable, en sus d’une cuisine au mieux de son époque et de son temps.

Ernest Mathis

Si vous voulez découvrir la maison avec sagacité, ralliez-vous, par exemple, au formidable menu dit « évasion gourmande », tarifé 42 €. La cuiller de foie gras de canard mulard façonnée en boule avec sa gelée de champignons façon truffe avec son croquant de primeurs, son coulis de cosses de petits pois est une pure merveille. La tranche de maigre (dit ici courbine), ce joli poisson d’Atlantique et du golfe de Gascogne, est proposée à la vapeur en cuisson douce avec tomate séchée, fines tagliatelles de légumes, fumet de bar réduit en fleurette à l’oseille. Le suprême de volaille saisie au sautoir (une belle poule de l’éleveur Siebert à Wolxheim, ferme de la Bresse, tendre comme du coucou de Rennes) avec sa crème au concassée de morilles braisées fait un point d’orgue superbe.

Après cela? Il y a aura le moelleux à la pistache en nage de fraises rafraîchie avec sa crème glace à la vanille des îles. Ou encore un classique soufflé au Grand Marnier, sans omettre un gratin de griottes ou de framboises avec son sorbet du même fruit. De la cuisine? Et même une leçon du genre, nette, claire, précise, avec l’absence de chichi en plus.

Les autres menus (« plaisir et tradition » avec le presskopf de porcelet et sa tranche de foie gras, « le tout homard » à 73 €, ou « l’éveil des sens » avec ses grosses langoustines aux épices, une julienne de radis roses, un jus de carcasse réduit en fleurette) font autant d’exercices sur le même thème: la cuisine classique revue au goût du jour. Les produits au top, les mariages de saveurs toujours nets et sans folie, les sauces, certes, mais fines et sans lourdeur, bref, la légèreté et les saveurs, bref le goût en toute chose: voilà la leçon du professeur Mathis.

Soufflé glacé au Grand Marnier

On ajoute là dessus les vins choisis par le souriant Christophe: le muscat de Zeyssolf à Gertwiller, frais, fruité et croquant, le riesling racé et net d’Hugel à Riquewihr, le volnay la Pousse d’Or qui tient la rampe et ramène bien son fruit, kirsché et framboisé en millésime ancien (en l’occurence 1997). Autant de choses évidentes comme des trésors. Mais que l’on a peur de ne plus trouver le jour où Ernest et Lily Mathis auront raccroché. Allez-vite les encourager, histoire de les en empêcher.