Le Mascaret

Patrice et Nadia Hardy © GP

C’est une histoire à la Dr Jivago : celle d’un cuisinier français d’origine normande qui, après avoir voyagé dans les palaces d’Europe, au Georges V à Paris, à l’Eden au Lac au Luxembourg, au Lausanne-Palace en Suisse, devient le chef attitré de l’ambassade de France à Sofia et enlève la danseuse étoile pour la ramener chez lui. C’est la saga de Philippe et Nadia Hardy, lui natif de Carentan, elle pure Bulgare qui revendique hautement ses origines.

Flûte de moussette © GP

Treize ans durant, ils tiennent le Presbytère d’Heugueville-sur-Sienne avant de réaliser leur rêve : ouvrir une maison d’hôte à quelques pas de la mer. C’est chose faite à Blainville. Nous sommes là à deux pas de Coutances (« cathédrale normande, que sa diphtongue finale, grasse et jaunissante, couronne par une tour de beurre » notait Proust) et du bocage.

Homard aux asperges © GP

Les Hardy ont investi de charmeuse façon l’ancienne école de filles du bourg. Il y a là un spa, un salon de thé, une salle à manger délicieuse, une terrasse sur jardin avec verrière, quelques chambres et suites de charme. Bien sûr, la décoration est signée Nadia et tout est dans le mélange de styles, les couleurs contrastées, les fleurs, les rayures, bref le baroque absolu. Une baignoire dans une chambre, un mobilier qui joue le doré ou le rustique, des voilages rouges ou vert, plus le wifi à tous les étages : nous voilà ailleurs, mais sans négliger le confort, les aises, l’espace.

Nadia au service © GP

Côté cuisine, Philippe qui est un vrai pro, solide, discret, s’est aménagé un labo dernier modèle griffé Molteni avec ses carreaux de faïence noir et blanc. Les produits sont glanés chez les producteurs et artisans locaux et la réalisation, sans chichi, leur fait rendre tous leurs sucs. Les menus, sur une carte poétique, avec ses cÅ“urs roses, sont des odes au voyage. Foie gras du pays d’Auge avec son jus corsé et ses ravioles, « flûte » (ailleurs, on dirait nem) de moussette (le nom local du crabe) avec risotto de céleri, petit navet et radis nouveau, homard de Chausey en cocotte aux asperges dans un jus savoureux, son émulsion de l’instant, sole en fine chapelure de noisettes et pistaches façon crumble avec citron vert : ni trop, ni trop peu.

Sole en chapelure de noisettes © GP

Nadia vante, raconte, roule les « r », indique une parfum à humer et une eau de mer additionnée d’épices qui joue le rôle de trou normand nouvelle vague, participant de manière active à l’élaboration des desserts. Qui peuvent être plus classiques d’allure, comme le finger au chocolat avec sa fleur de sel démoniaquement savoureuse ou la nage d’agrume et fruit de la passion au miel de châtaigne avec sa fine glace vanille.

Finger chocolat © GP

On n’oublie pas, au passage, les légumes du jardin, issus de la cueillette du jour. Les vins pleins de fraîcheur, comme ce viogner Camas du pays d’Oc du domaine Anne de Joyeuse ou le splendide chinon 2008 d’Olga Raffault à Savigny-en-Véron. Tout ce qui est ici service se révèle exquis, frais, léger, mesuré. Et donne le sentiment de voyager très loin dans ce joli bras de la France, bercé par les embruns, qu’est le Cotentin. Il est temps de redécouvrir les Hardy.

Les Hardy au patio © GP