Le Bois Sans Feuilles à la Maison Troisgros
« Ouches : la vraie nature des Troisgros »
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Ils n’étaient pas chez eux, à Roanne, face à la gare, souffraient des nuisances urbaines, se lassaient d’une situation provisoire… séculaire: bref, les Troisgros ont rebâti le neuf domaine ailleurs, mais dans un lieu qui leur appartient, désormais, ainsi qu’à la nouvelle génération. Guère loin du lieu originel: 8 km en tout depuis la gare, quoiqu’en pleine nature, avec ses dix hectares, ses bois, sa ferme, son manoir, et puis sa salle de restauration ultra contemporaine, imaginée, en deux temps, autour d’un vieux chêne sans feuilles, par Patrick Bouchain, l’architecte ami, qui a oeuvré à la colline du Colombier, mais aussi revu futuriste la vieille Grenouillère de la Madeleine-sous-Montreuil de l’ami Alexandre Gauthier, qui apparaît ici comme un petit cousin du Nord.
Le « Bois sans Feuilles », avec sa haute cheminée, près des cuisines et de la cave apparente, son entrée de côté à la façon d’une chapelle gourmande, son manoir en contrepoint, sa déco sobre d’une royale simplicité, sa salle à manger vitrée laissant place au dehors, séparée en deux par son chêne plus que centenaire, les mystères du verre qui se répondent comme dans une toile surréaliste façon Magritte, ses salons en douceur, sa bibliothèque pour rêver, sa terrasse pour admirer la campagne au loin, la voisine côte roannaise et ses vignes en terrasses, la campagne qui offre une respiration neuve, et non seulement un décor, celui d’une vie qui se prolonge et se raconte: voilà ce qui s’offre là désormais. Il y a là une tribu familiale plus unie que jamais: Marie-Pierre qui a imaginé la décoration, faisant appel aux petits artisans roannais pour l’habillage textile, Michel désormais épaulé par César, Léo, qui lui, cette année, oeuvre à la voisine Colline du Colombier, mais se prépare pour reconstituer une neuve fratrie Troisgros en duo.
Bref, cela fait du monde, comme une équipe unie, avec un personnel aux aguets, rôdé, dynamisé, motivé. Sachant qu’ici il se passe toujours quelque chose, offrant une manière neuve d’imaginer qu’ici tout commence ou tout recommence. Sauf que le style de la cuisine est plus moderne, que ce qui se tramait jadis à Gevrey-Chambertin au temps de l’aïeul Jean-Baptiste, puis de Jean et Pierre, face à la gare, que le saumon à l’oseille d’antan a été remise aux oubliettes de l’histoire gourmande, sans pour autant que la manière maison soit oubliée. Vive, acide, piquante: Michel et César n’ont pas oublié la leçon du père et du grand-père Pierre aux belles moustaches, qui lestait d’un petit zeste de citron ou signait d’un petit coup de vinaigre chaque plat en cuisine, juste avant son départ en salle.
Tout ce qui se livre ici, au grès d’un menu habile, fin, léger, frais, soyeux, témoigne de ce souci de digestibilité sans faille. Les petites tartelettes sablées aux légumes vinaigrés en pickles, histoire de démarrer, l’amusante « cosa croccante » (chose croquante en italien) avec fins chips de carottes craquantes et câpres, la belle asperge de Provence au blé noir et à l’oseille, les très brillantes et piquantes huîtres au chou et curry toastés, les fringantes et rustiques/chics tripes de veau dites nid d’abeille aux radis roses, le bouillon de Saint-Jacques Matisse, avec ses couches de légumes superposées, à la façon de l’artiste coloriste, qui peignait à la fin de sa vie avec ses tissus savamment disposés.
Il y a encore l’éblouissant petit rouget « rouge » avec sa fine « croûte » de poivron et son beurre monté au citron plus ses mini cannelloni d’artichaut, le juteux carré d’agneau allaiton de l’Aveyron au Garam Massala d’allure si joliment voyageuse, entre Inde et Maghreb, ou encore l’épatant ris de veau grillé dit « sim sim » au sésame noir et carottes. Et puis, enfin les desserts malicieux et colorés: comme ces « champs colorés » avec mangue, patate douce et orange sanguinee, ces « dim sum » noisette et passion, ce « bois sans feuilles », avec rouleaux de chocolat, mousse café, glace au sel, ce rigolo oeuf de Pâques, avec kumquat, mousse yaourt, chocolat blanc.
Toutes sortes de choses exquises, sur lesquelles, on peut jouer, au verre, les jolis flacons locaux ou de guère loin, comme ce saint-pourçain blanc tressailé du domaine des Bérioles, insolite mondon du Forez avec chasselas et gewurztraminer ou encore côte roannaise rouge du domaine des Pothiers. Ce qui n’exclut pas d’aller voir ailleurs avec le blanc de Campanie Joaquin dall’Isola ou doux anjou blanc Fleur d’érables les Sablonettes.
Bref, voilà une maison Troisgros, plus jeune que jamais, à la fois toute neuve, follement innovante, solidement enracinée, excitante dans sa manière dynamique de jouer le passage de génération sans heurt. A redécouvrir séance tenante.
Au prix d’une rupture totale avec les vieux habitués , laissés sur une liste d’attente ….
Malgré leur fidélité à la grande maison pour y fêter les grands événements