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Cherbourg : changement de quai au Pily

Article du 14 août 2022

Pierre Marion (à droite) et Xavier Bissonet, son fidèle second © OB

La belle table de Cherbourg, qui change d’emplacement, plein cadre sur le port, décryptée par notre ami voyageur, amoureux du Cotentin, Olivier Binst.

Maquereau mariné, salsa criola © OB

Une tête et une carrure de viking, un caractère bien trempé, un taiseux qui peux se montrer volubile s’il est en confiance : Pierre Marion est bien un gars d’ici, sur la défensive, mais prêt à se livrer, enraciné dans ce Cotentin aux paysages inouïs, aux lumières fascinantes, où terre et mer sont si généreuses. Après des années au cœur de la ville et une étoile Michelin solidement arrimée depuis douze ans, il vient d’amarrer son Pily sur un quai de Cherbourg, face à l’une des plus belles perspectives portuaires, celle qui mène le regard, loin, très loin, jusqu’à la grande digue et ses forts, construits au XVIIIe siècle, la plus vaste rade artificielle au monde.

Homards bleus du Cotentin de Sylvain Lozier © OB

Adossé à l’ancienne capitainerie et la prolongeant, le Pily est tout de béton brut et surtout de verre vêtu pour mieux donner à voir ce spectacle sans cesse renouvelé : mouvement des bateaux, soleil ardent, vents et pluies soudaines qui rythment les jours et les saisons. C’est beau, vraiment beau, et l’on est très confortablement installé dans cette salle lumineuse de 40 couverts. L’autre soir, une tempête d’orage s’est levée pendant le dîner et ce fût comme une scène wagnérienne…  Le poisson, rien que le poisson, et les coquillages et crustacés bien-sûr, sont ici en majesté, escortés des fins légumes et herbes du coin et de quelques fruits venus d’ailleurs, seule entorse à la règle stricte du local. La liste des fournisseurs, pour le prouver, occupe d’ailleurs tout le verso du menu.

Nigiri de sardine et seiche, tempura au charbon végétal © OB

Presque chaque jour, vous croiserez Pierre sur le quai d’à côté, à la débarque des petits bateaux qui lui réservent le meilleur de leur pêche : bars, saint-pierre, turbots, maquereaux, coquilles St Jacques, dorades, poulpes, sans oublier les nobles homards qui abondent alentour. Vous le trouverez aussi fréquemment sur le marché voisin du centre-ville où il « cueille », auprès des jardiniers d’élite, fleurs, légumes et fruits vivants aux saveurs incomparables.  Et puisque la nature est si généreuse en ce Cotentin, Pierre Marion a eu l’idée toute simple, toute bête, de lui rendre hommage et de l’exalter. Ni plus ni moins. Il sait avec sagesse ne point trop montrer sa virtuosité technique pour réaliser une cuisine précise aux cuissons millimétriques, aux saveurs pointues, aux couleurs vives, une cuisine allègre qui n’appartient qu’à lui.

Pierre Marion et un poulpe © DR

Il marche à l’instinct, à l’émotion, au rythme des marées et des saisons, ancré dans son sol natal. Et parfaitement soutenu par une jeune équipe enthousiaste. Mais cet enracinement profond dialogue en sa cuisine avec une âme voyageuse qui le conduit en esprit vers le Japon ou le Pérou, ces deux grandes patries de la gastronomie marine. Enfant, tout en ramassant étrilles, ormeaux et homards dans les trous des rochers, il a du rêver des terres lointaines en regardant partir les grands paquebots du port de Cherbourg, depuis cette gare maritime qui fut la plus active d’Europe. Ces ailleurs fantasmés et étudiés ont nourri son inspiration : les techniques de l’ikéjimé ou du ceviche n’ont plus de secrets pour lui. D’ailleurs, nul couteau n’entre dans sa cuisine s’il n’est pas japonais de meilleure origine.

St Pierre, tsukemono de choux rouges, navets croquants,nage ginger beer © OB

Le menu unique, renouvelé très souvent au gré de la pêche, du marché et de l’inspiration et proposé en 4 ou 6 services. Après quelques mises en bouche de compétition, telle cette huitre hachée, algues et kombucha marin, on passe aux dés de maquereaux, huile de yuzu et sansho, rhubarbe et betterave, kéfir de lait, et on enchaîne sur le St Pierre, sauce chimichurri aux coques, pour continuer par le bar de Loulou (un copain pêcheur), shitaké et radis, nage « ginger beer », et enfin savourer ce plat d’une gourmandise absolue, à la fois rustique et raffiné : le « homard patates ». On conclut en légèreté et finesse par un chèvre frais, physalis et umeboshi, shizo, meringue et mesclun, avant cette douceur du jour, framboises et myrtilles, tsukemono de choux, crème légère à la cardamome, sablé et sorbet pélargium rosa. Tout est à sa juste place pour constituer un parcours stimulant de saveurs, généreux et parfaitement équilibré.

Feuille de shiso cristalisée, framboise et mirin © OB

Le Pily, comme Pierre, le chef, et Lydie, son épouse, qui veille à la bonne marche de ce beau navire. Violette et Janne, les deux options de menus, sont les prénoms de leurs filles. Bref, une affaire de famille, ambitieuse et franche, comme on les aime. Carte des vins intéressante (à partir de 30 €) qui fait la part belle aux blancs (mais pas que), avec par exemple le Muscadet du Château de la Gravelle, le Montlouis de Chidaine, le Vouvray du domaine d’Orfeuilles, l’Arbois du Domaine de la Pinte, le Marsana (collines rhodaniennes) du domaine Les 4 vents, les rieslings de Trimbach… sans oublier une large sélection des Calvados de Camut, Normandie oblige.

Vue du soir sur le port © DR

Le Pily

1 rue du Pont tournant,
50100 Cherbourg
Tel : 02 33 10 19 29
Horaires : 12-14h. 19h-21h15.
Fermeture hebdo : dimanche et lundi
Menus : 66 (4 services),  85 (vins c.), 89 (6 services), 118 (avec accord mets et vins, 3 verres) €.
Site : www.le-pily.com

A propos de cet article

Publié le 14 août 2022 par
Catégorie : Coups de coeur, Restaurants Tags :

Cherbourg : changement de quai au Pily” : 1 avis

  • Article juste sur un chef engagé et amoureux de son métier
    Un réel talent au service d’une belle table dans un cadre ouvert.
    Bonne chance à tous

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