Le Restaurant des Rois à la Réserve de Beaulieu
« Beaulieu-sur-Mer : l’avènement de Julien Roucheteau »
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On le connaît de longue main, on le suit depuis le Lancaster à Paris, où, placé par Michel Troisgros, chef conseiller, il en devint chef à part entière, y gagnant les deux étoiles. On l’a vu brièvement à la Scène Thélème, rue Troyon, dans ce qui fut la table de Guy Savoy, revue en restaurant-spectacle. Julien Roucheteau, récent MOF de la promotion 2018, est devenu le maestro le plus en vue de la côte, avec un objectif clair et précis, assigné ici par l’aubergiste exemplaire Jean-Claude Delion : redonner à la cuisine maison, son lustre, son brillant, son aura, et, bien sûr, les deux étoiles.
La salle rajeunie, face à la mer, avec son neuf plafond à la feuille d’or, remplaçant l’ancien peint au pochoir avec ses frises rétro, ancre la maison, dans le contemporain, l’époque, avec sobriété. Le service de salle a été rajeuni. Les tables sont fort bien mises et les menus sont tarifés avec sagesse pour tant de qualités, car on sait que la cuisine ici conjugue raffinement et esprit de la Méditerranée avec un infini sérieux. Ainsi, ce plaisant amuse gueule sur le thème de l’artichaut en fine crème, du citron et de l’olive, flanqué d’un exquis pain aux pois chiches, en fournit un exemple parfait.
Là dessus on embraye avec sérieux sur des mets conjuguant, à la manière Troisgros, la fraîcheur, la pureté, la vivacité, l’iode, le fumé, le soyeux, sans omettre le crémeux de laitance et l’acidité pour les desserts. Les familiers de la grande maison de Roanne migrant à Ouche nous comprendront. C’est indiquer aussi où se niche le niveau d’excellence défini par le magicien Roucheteau.
Filet de truite de Cians brûlé aux concombres en cristallines, piquet de vinaigre à la fleur de sureau, filet de bœuf mariné aux algues, rafraichi d’un bouillon dashi de coques au caviar osciètre ou encore royale de mozzarella de bufflonne fumée avec feuilles de blettes, eau de pastèque infusée à la citronnelle constituent des hors d’oeuvre d’exception. On y ajoute des malins vifs, malicieux, iodés ou carnassiers entre vérité du produit et subtilité de cuisson.
Le morceau de bravoure du genre – et sans doute du repas? La sériole méditerranéenne grillée, demeurée moelleuse, bleue et juteuse, flanquée de « chouviolis » (des raviolis au chou) farcis de fenouil rôti, flambé au pastis blanc. Voilà « le » plat du moment à goûter impérativement lors d’un passage en Riviera française en 2020! Mais le blanc saint-pierre confit, taillés en aiguillettes, à l’huile de verveine (même si cette dernière est un peu insistante), accompagné de gnocchi de tomates au consommé d’arêtes rôties vaut également le détour.
Autre morceau de bravoure, carnassier celui-là: le « soyeux » ris de veau caramélisé, doré à la camomille, adoucie de cerise qui constitue, sur le modèle de l’abat craquant/moelleux, rustico-raffiné, un modèle du genre. Là-dessus, un jeune sommelier au fait de son sujet tire d’une cave affriolante des flacons de choix, comme le splendide et si frais cassis du Clos Sainte-Magdeleine des Sack-Zafiropoulo, l’élégant entre gras et velouté meursault sous la Velle 2017 de Rémi Jobard, enfin le très remarquable château Fieuzal modèle d’équilibre entre puissance et charme en pessac-leognan, dans sa plénitude en 2009.
On ajoute, évidemment, les jolis desserts du maestro ès douceurs, Benoît Jabouille, comme cet avant goût sur le thème de la rhubarbe, du chocolat, et de la mandarine en granité, avant les jolies compositions, comme le classique et aérien soufflé au Grand Marnier, les éclats de citron de pays rafraîchis aux baies de Bataks à la feuille de kéfir, la triangulation de rhubarbe pochée au crémeux de jasmin lacté, avec son glacé de riz au lait croustillant. Voilà qui clôt avec élégance et légèreté une prestation de haut vol.