Au Crocodile
« Srasbourg : le nouveau Croco est arrivé ! »
Modernité en hausse, prix en baisse, qualité en mouvement, cadre dans le vent, service pimpant, chef brillant (et Brillat, comme un lointain neveu de Brillat-Savarin, natif, comme lui, de Bresse et du Bugey) : voilà le visage du nouveau Crocodile. Cédric Moulot, associé à la famille Burrus (la Marquise de Sévigné, le Musée du Chocolat, entre autres), a fait fort. La maison historique de rue de l’Outre, jadis portée au pinacle de la gloire gourmande et des étoiles par les Jung, Monique et Emile, est bien repartie pour la gloire.
En salle, on est accueilli par des têtes expérimentées : Cathy Klein (ex l’Arnsbourg à Baerenthal) et Pascal Funaro (ex Kammerzell, ex la Chenaudière à Colroy-la-Roche, ex-la Pommeraie à Sélestat). Manière de dire que le malicieux Moulot sait s’entourer. On y ajoute une salle rajeunie dans les tons noirs, avec sa haute verrière, ses appliques Lalique, mais toujours, rassurez-vous ses tables bien nappées et sa splendide fresque paysanne du XIXe. En cuisine, le ton est donné du sérieux en toute chose, sortant d’une cuisine ultra-moderne, prolongée d’une table privée dédiée à Emile Jung, des mets vifs, fins, raffinés, d’un sérieux imparable.
Le style maison : classico-moderne, traditionnel, mais allégé, frotté à la virtuosité technique, collant à la production locale. Romain Brillat, qui fut longtemps le lieutenant de Gilles Goujon à Fontjoncouse, joue ici une partition vigoureuse, superbement maîtrisée et pleine d’entrain. Côté prémices et canapés, un millefeuille de marron et citrouille, une tartelette au foie gras, pickles de betteraves et eau de rose, une bille à l’encre de seiche farcie au céleri rémoulade et crème de raifort ou encore une fine brunoise de légumes au foie gras et consommé de boeuf.
On y ajoute la splendide huître Tarbouriech tiède farcie, avec sa purée de cresson, son oreille de cochon soufflée, la raviole de homard à l’estragon, épinard aux citrons confits, crème homardine, la lotte en matelote au pinot noir, la saint-jacques rôtie avec son risotto de céleri au corail, avec truffe et crème de barde, le turbot à la grenobloise, aux câpres, et scorsonères, l’autre nom des salsifis, sans omettre un formidable exercice sur le foie gras chaud en croûte de sel avec son chutney de tangelo et mandarine jaune au jus de clémentine, selon une recette ancienne d’ici remise à jour : bref une cuisine grande bourgeoise dans le droit fil de ce que pratiqua ici le grand Emile.
Ainsi, le perdreau sauvage aux choux et son jus à la noix, la pintade fermière aux gnocchi de butternut à la truffe ou encore, ce qui constitue peut être le grand plat du moment, le coquelet d’Alsace en deux services, le coffre farci de freekeh (les céréales moyen-orientales), champignons et truffes, la cuisse confite avec mâche et râpée de truffe. Là dessus, toute l’Alsace du vin actuelle (muscat d’Albert Mann, Mambourg de Jean-Michel Deiss, pinot noir V de Rouffach) vient en renfort, comme le riesling vt de Ruhlmann à Dambach qui se marie avec les brillants desserts, après l’exquise et culottée « fondue d’amour » aux truffes.
Pomme d’amour au caramel de pomme façon Tatin ou vraie Tatin à partager avec un sablé breton, pommes cuites et crues, crème de Bresse, caramel, plus le superbe tarte au chocolat soufflée au chocolat noir de chez Schaal (des Burrus!) avec griottes au kirsch, sorbet griotte façon « Forêt Noire » revisitée : voilà pour les desserts en vogue. On achève sur un kirsch du Val de Villé de chez Adrian à Albé et l’on trinque à la réussite de ce Crocodile nouvelle manière.