Le 1947 au Cheval Blanc
« Courchevel : les sortilèges du 1947 »
On vous en avait parlé il y a près de quatre ans déjà : c’était un OVNI des Alpes, mis en place par Yannick Alléno avec le coup de pouce décoratif de Sybille de Margerie: un peu laboratoire de cuisine, beaucoup capsule spatiale. La formule s’est rodée, mais non banalisée. Le personnel s’est renouvelé. Gérard Barbin, natif de Sallanches (Haute Savoie), dont les parents tinrent jadis le Capucin Gourmand, à Megève, puis Bonneville, officie avec sûreté. Le service est vif, précis, délicat.
Il n’y a plus de menus fixes, mais des plats « principaux » et des hors d’œuvre qu’on peut picorer et partager. La partition n’est guère éloignée de celle que propose le grand Yannick à Paris chez Ledoyen, même si la montagne et les lacs des Alpes ont ici leur mot à dire. Entre les cinq tables – de deux à de huit couverts – peut naître une connivence: le lieu, insolite tient du club non dit, de la maison pour initiés.
En amuse-gueule, guimauve au topinambour et fuseau d’anguille, puis gelée de saucisson, quignon de pain et cornichon jouent des airs connus – même si tout le monde n’est pas allé au Carré des Champs-Elysées, goûter le Alléno parisien – mais sont le prélude à de nouvelles idées d’ici: belle soupe au caillou et potiron, à la fois rustique et chic, avec son pain charcutier, coussinet d’huître au caviar fabuleusement iodé, gnocchi de féra truffés avec leurs poireaux au jus de topinambours et babeurre, étonnante brouillade de saint-jacques « Lulu » (c’est la saint-jacques qui est brouillée, sans œuf) avec son pain retrouvé au caviar.
Viennent ensuite le « principal », qui peut être poissonnier et alpin, comme ce filet de brochet rôti à l’os à moelle au poivre sauce vin jaune, avec son « sandwich » d’épinard au « maviar » (cette pâte d’oeufs de cabillaud fumé estampillée Petrossian), son omble de chevalier façon gravlax à la vinaigrette de caviar avec ses pommes tièdes, ou carnassier, avec le petit canard de collection de Pascal Duclos, sa tarte feuilletée en écaille de pommes à la cannelle au foie gras, son céleri en croûte de foin.
Il y a encore la pièce de bœuf wagyu cuite au feu d’enfer avec ses pommes de terre à la moelle au cumin, sa salade de croustilles pulvérisées à l’azote, qui donnent l’occasion aux hôtes de pénétrer la bulle de la cuisine et d’observer le travail au moment. Enfin, déferlent les desserts du « fil rouge » sucré, avec la crème aux fraises des bois, la meringue cassée aux bourgeons de pin, le soufflé aux agrumes parfumé au yuzu et son sorbet battu à l’extérieur dans la neige.
Avec des vins qui peuvent être savoyards (Argile du domaine des Ardoisières, persan cuvée Octavie d’Adrien Berlioz) ou d’ailleurs, dont cette précieuse collection de château Cheval Blanc, qu’on peut goûter au verre issu de magnum, grâce au Coravin (comme le charmeur 2004), sans omettre le jurançon du domaine de Souch pour accompagner les douceurs. Voilà un lieu comme une expérience, gourmande, luxueuse, savoureuse, résolument hors norme.