La dévoration selon NEO

Article du 24 août 2014

Il est le plus jeune membre du club des Cent et quand il m’adresse son dernier livre avec cette dédicace: « un livre pour gastronomes« , on sent bien qu’il y a de l’humour sous la phrase soulignée d’un point d’exclamation. Plus qu’un brin d’ironie même! Cette « dévoration », qui fait référence au célèbre fait divers de  l’étudiant japonais, Issei Sagawa, dévorant à Paris le corps de sa bien aimée (c’était en 1981 mais le haut fait est demeuré dans toutes les mémoires), lie trois histoires: la vie de Nicolas Sevin, jeune écrivain à succès, rédigeant maints ouvrages sur le thème du mal et dont la mère, est-elle un écrivain populaire de bon ton, créatrice de l’héroïne populaire Ottilie, la dynastie des Rogis, bourreaux français officiels depuis le XIIe siècle dont seule l’abolition de la peine de mort viendra interrompre la lignée, enfin l’histoire de notre japonais cannibale, rebaptisé Morimoto, mais dont la vie parisienne s’inspire trait pour trait de celle de son célèbre modèle.

Comment ces trois histoires vont se rejoindre, avec finesse, malice, habileté: c’est tout l’art narratif de l’auteur des « Fidélités Successives » (paru en 2012 et récemment republié au Livre de Poche). Qui sait changer de style, passer du roman historique à l’érotisme noir, sans omettre ce qui pourrait passer pour une autobiographie déguisée. Nicolas Sevin, né en 1981, l’année même où Sagawa/Morimoto commit son forfait/acte d’amour, ne serait-il pas une doubure de Nicolas d’Estienne d’Orves alias NEO soi-même? Notre homme, qui est gourmet-gourmand, amateur d’abats, fête la tête de veau chez Apicius, goûte la cervelle comme les animelles, contant ses démêlés avec son éditrice exigeante, la belle Judith, va fait corps ici avec notre Japonais cannibale, libéré en 1986 et devenu une star des medias au Japon, pour lequel il jouera le justicier vengeur.

Auparavant, on aura saisi ce qui relie notre Nicolas Sevin et les Rogis, en suivant avec précision l’histoire successive de ces derniers se faufilant à travers les mailles serrées de la grande Histoire, sans oublier le premier dans ses tribulations nocturnes, sa quête de lui-même à travers des scènes d’amour fortes et provocatrices, qui tiennent à la fois du vampirisme et de la technique de groupe. Au sortir de ce roman à la fois corrosif, précis, glouton, décoiffant, on est à la fois passionné, intrigué, séduit et révulsé. Assez pour dire que cette « dévoration » se dévore sans modération.

La dévoration, de Nicolas d’Estienne d’Orves (Albin Michel, 309 pages, 20 €)

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Publié le 24 août 2014 par

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