Flocons de Sel

Au travail © Maurice Rougemont

Mais non, les trois étoiles ne l’ont pas changé: il reste le roi discret de Rochebrune au hameau de Leutaz, à l’écart des mondanités de Megève. Les prix, certes, ont fait un petit bond en avant. Mais, si on les compare à ceux des tables de son registre et surtout à ceux de ses voisins de Savoie, on se dit que Manu Renaut, le chef MOF des Flocons de Sel, qui fut jadis le lieutenant de Marc Veyrat et le chef du Claridge’s londonien, a le triomphe modeste.

L’entrée © GP

Il s’est émancipé avec élégance, a contribué à lancer, en France, la mode des tabliers bleu rayé blanc, celui des bouchers anglais, peaufinant son domaine avec ses quelques chambres et suites sobres, jouant, comme le dit son dernier livre, paru chez Glénat, « la Montagne au naturel« . De fait il n’y a guère d’esbroufe dans cette cuisine simple et savante à la fois, ouverte et fraîche, sereine et lumineuse qu’il distille par touches précises.

Plats © Maurice Rougemont

Ses amuses bouche (tartelette de racine et noisette, toast fin de crème acidulée aux oeufs de féra, biscuit de Savoie avec moutarde et betterave, lait d’alpage fumé en beignet, chips de bolet) sont comme des odes aux pentes et à l’estive, aux lacs et aux sommets proches. La cuisine de Manu Renaut ressemble à une ballade (« du sel au sucre« , dit son premier menu, « randonnée aux saveurs d’hiver« , suggère l’autre), les mets à des compagnons de route, vite complices.

Service du vin © GP

On se laisse bercer par la musique de ces mets odorants et frais que sont les salsifis en spaghetti au lard et poudre légèrement fumé à la truffe blanche d’Alba, les fameux « 2 millimètres de polenta » présentés en ravioles aux champignons hachés aux couteaux ou encore le bluffant consommé « jardinier » relevé de raifort et vieux beaufort avec moelleux de panais et betterave. Plus, montagnard? Impossible.

En salle  © Maurice Rougemont

Un jeune personnel aux aguets et style conte cette cuisine comme une balade raffinée dans les sentiers qui séparent Val d’Arly, Beaufortain et Massif du Mont Blanc. La cuisine ici est en noir en blanc dans un environnement en technicolor, comme une manière de révélateur. Tout a du goût, mais tout aussi réfute l’emphase. Le brochet du lac, de la pêche du copain Eric Jacquier, sur le Léman, présenté comme un biscuit, évoque la bonne vieille quenelle d’antan. Et ce jus d’oignons grillé qui l’accompagne est un subtil élixir rustique.

Décor © GP

Il y a encore les vins de la Savoie et d’ailleurs, les viandes pleines de goût – paleron de boeuf confit à la mondeuse,  chevreuil si tendre relevé de balsamique avec condiment orange et pommes soufflées plus jus façon Grand Veneur et jus rouge, signe que ce moderne de Manu est un classique qui ne s’ignore pas. Et enfin des desserts éblouissants – tarte chaude de chocolat fumé avec glace au bois, sabayon aux noisettes comme un tableau d’hiver, citron Meyer avec coque de sucre et gelée d’agrumes ou mousseline de topinambours avec compote de poire-  qui signent un sens de l’invention très dominé.

Emmanuel Renaut © Maurice Rougemont

Ce cuisine de sorcier magicien, qui tire ses bons tours de la tradition réinventée, vaut plus d’un voyage. Difficile de résister au charme d’Emmanuel Renaut.