Restaurant Yoann Conte

Il est chez lui dans l’ancienne maison de Marc Veyrat, peut légitimement faire le V de la victoire et inscrire son nom sur l’enseigne, marquant cette belle demeure bleutée face au lac si riche d’histoire de son empreinte. D’ailleurs, ses menus se nomment « inspiration », « parcours de vie » ou, pour ceux qui ne l’aurez pas compris, « signature Yoann Conte ». Bref, l’ex élève de Marc Veyrat installé par lui dans sa dernière demeure trois fois étoilée, s’émancipe.

D’ailleurs le breton Yohann, natif de Brest, que nous découvrîmes jadis au mieux de sa forme, il y a sept ans déjà, au Fitz Roy de Val Thorens, a joliment payé sa dette. Et obtenu ici deux étoiles au Michelin en trois ans. Il est locataire gérant de ce lieu majestueux dont Marc Veyrat est toujours le propriétaire, a rénové le lieu en beauté, rafraichissant les boiseries, motivant le personnel, baissant les prix au regard de ce qu’ils furent (si fous!) jadis. La folie de Yoann Conte s’exerce, elle, dans la magie d’assiettes composées comme des balades.

Cet ex stagiaire de Martin Berasategui ou compagnon de route de Thierry Marx, sait jouer de toutes les musiques avec brio. Sa « balade en forêt » avec cèpes et mousse de persil, sa variation sur la tomate avec burrata et herbes du potager, son « incongru » mariant pied de veau et huîtres (même couleur et consistance proche!) plus échalote, sorbet betterave, plus caviar et feuilles d’huîtres jouent, sans nul doute, le gadget mais avec quel brio! Comme d’ailleurs cet emblématique tartare de boeuf à assaissonner soi même avec épices, oeuf de caille poché au sucre et oxalys.

Le talent, le doigté, la connaissance technique du produit, le sens du goût, du mariage juste et de l’alliance à risque – mais avec filet!- voilà ce qu’on trouve chez ce jeune (38 ans) chef ayant roulé sa bosse ici et là, mais désormais enraciné avec force dans ce coin de paradis qu’est le lac d’Annecy. Du lac, proviennent d’ailleurs des merveilles, mais aussi du voisin Léman. Avec le concours d’Eric Jacquier, le pêcheur de Lugrin, également présent ici même. Ainsi cette féra fumée accordée en feuille à feuille de pomme de terre à l’acha des montagne, cette truite de Savoie à la déclinaison de carottes, façon hommage clin d’oeil au maître Veyrat, ou encore la féra, encore elle, avec cresson et pomme verte, plus un rien de vin jaune.

Le morceau de bravoure maison,  ce pourrait être les écrevisses en deux services, façon tradition à la reine des près ou aux herbes potagères avec chénopode Bon-Henri, avec, encore cet entêtant goût de noix donné par le vin jaune: instant doublement superbe! Jolie aussi la grosse queue de langoustine du Finistère  (bon sang breton ne peu mentir!) laquée d’épices avec son émulsion à la mélisse. Mais les grosses pièces carnassières, tel le caïon (nom savoyard du porcelet) cuit en cocotte aux arômes de « Regain », donc végétaux, plus du lard de Colonnata, des artichauts, un rien de craquant, venu du laquage, et du tendre d’un morceau de filet bien moelleux, ou encore la volaille de la cour d’Armoise avec son jus de poulet à la mélisse du jardin prouvent que Yoann Conte joue la cour des grands.

On a connu ce garçon tout fou, courant en tout sens, on le retrouve dispersant un peu trop ses dons, à force de générosité, mais avec des assiettes toujours brillantes, toujours savoureuses. On n’oublie pas tous les vins de la Savoie nouvelle vague qui accompagnent cette cuisine créative du coeur, ni « l’ercheu » de fromages, comme avant. Ni, bien sûr, les jolis et frais desserts: sorbet au foin, carrément fraise avec fromage blanc glacé au serpolet des montagne, tarte crémeuse au vin de Seyssel, plus citron (en crème) et framboises (en fruits) ou encore la kyrielle de chocolat à l’aspérule odorante.

On rend grâce au terme d’une terme démonstration à la fois folle, magique, solide et fraîche, en sachant que Yoann, doué de mille idées à la minute, garde quelques bons tours dans son sac. Voilà un grand chef de Savoie qui mérite pleinement la reconnaissance en tant que tel.