Est-ce ainsi que Decoin vit?

Article du 21 mai 2013

La pendue de Londres, de Didier Decoin

Pour qui suit Decoin depuis longtemps, ce livre ne sera pas une surprise. Ce romancier puissant, vigoureux, imaginatif, est, depuis longtemps (« la promeneuse d’oiseaux », « la femme de chambre du Titanic », « Mme Seyerling », « Est-ce ainsi que les femmes meurent ?») le défenseur des dames aux vies brisées. Les obscurs, les sans grades, martelées par l’existence : voilà la spécialité de cet écrivain catholique qui sait si bien s’emparer d’un faits divers pour le malaxer à sa manière, en tirant le plus sensible et le plus juste dans un récit à sa manière. Il s’attache, c’est fois-ci, à la belle Ruth Ellis, une Marylin Monroe au petit pied des nuits d’après- guerre dans un Londres qui cherche à se consoler du Blitz. Elle tient des boîtes de nuit après y avoir servie. D’entraîneuse, elle devient prostituée, mais sait choisir ses clients, comme ses amants.

Avec les hommes, elle n’a guère de chance. Enfant violée par son père, brutalisée par son mari, puis son homme de cœur, tous deux alcooliques, elle est mère deux fois. Lorsqu’elle révèle sa neuve grossesse à ce dernier, celui-ci la roue de coups jusqu’à ce qu’elle perde l’enfant qu’elle porte. Elle le tuera de quatre balles dans la nuit de Hampstead. Decoin, qui a le don pour transformer en thriller édifiant la noirceur du quotidien, conte en parallèle la saga du bourreau de Londres. Albert Pierrepoint, maître exécuteur, fit mourir avec efficacité et promptitude (son record et de 7 secondes) 435 criminels, dont 17 femmes et quelques bourreaux nazis à Hambourg, sur l’exécution desquels s’ouvre ce livre.

Bourreau-victime : Decoin s’interroge et raconte, narrant une histoire pleine de coups, de souffrance et de fureur. Ce maître conteur n’a pas son pareil pour évoquer un Londres de brume et de pluie, les maquereaux, les scènes de coucheries, les pubs, la bière qui coule à flot formant le décor tangible, presque tactile de ce roman noir formidablement prenant. Le lecteur sort épuisé de ce livre qui constitue un vibrant plaidoyer contre la peine de mort. Ruth Ellis sera la dernière  « morte légale » d’Angleterre. Ce roman plaide pour elle. Comme pour toutes les femmes martyrisées, brutalisées par la vie. Et Decoin, le plus sentimental de nos Goncourt, sans nul doute aussi notre dernier naturaliste, gagne son pari contre l’oubli. Ses personnages vivent en nous avec force, sitôt la dernière page refermée.

La pendue de Londres, de Didier Decoin (Grasset, 18,90, 334 pages).

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Publié le 21 mai 2013 par

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