Le dernier adieu de Jean-Marc Roberts

Article du 28 mars 2013
Jean-Marc Roberts en 1980 © Maurice Rougemont

Jean-Marc Roberts en 1980 © Maurice Rougemont

 La première fois que je vis Jean-Marc Roberts, il dédicaçait « les Petits Verlaine » à la fête de l’Humanité. Il avait 19 ans, j’allais en avoir 23. Il était déjà une star, avait obtenu le prix Fénéon, notamment décerné par François Nourissier et Aragon pour son premier roman « Samedi, dimanche et fêtes ». Je me souviens encore de la dédicace. « A GP, ces Petits Verlaine, en espérant qu’ils deviennent vite les siens« . Je me suis toujours demandé s’il n’aurait pas dû mettre « qu’ils deviendront« . Mais Jean-Marc allait vite, il était parfois négligent, comme tous les jeunes hommes pressés.

Un an après, on allait se retrouver ensemble, au Quotidien de Paris, dans les pages littéraires, dirigées par Jean Lemarchand. Ce dernier aimait les jeunes gens, leur faisait confiance. Jean-Marc, qui travaillait parallèlement au Seuil, où il était à la fois conseiller et lecteur éclairé sous l’aile bienveillante de son idole de l’époque, Jean Cayrol, l’auteur de « Je vivrais l’amour des autres« , était le trublion de la bande. Il allait, à son tour, se mettre dans la peau des autres. Raconter ses histoires, prêter l’oreille et l’oeil, celle des autres, de tous ceux qui allait devenir ses amis de passage, chez Julliard, chez Fayard, enfin chez Stock.

A l’heure de sa disparition hâtive – à 59 ans -, il est de bon ton d’évoquer l’éditeur à têtes multiples (de Vassilis Alexakis à Marcela Jacub, en passant par Michel del Castillo et Christine Angot). Mais son dernier récit, qui sonne comme un adieu, est l’occasion de rendre hommage à Roberts le confident, Robert l’espiègle, Roberts le mémorialiste de lui-même. Place Sulpice, à deux pas de Julliard, pas très loin du Seuil, on allait croquer ensemble un morceau dans l’un des restaurants de la rue des Canettes, boire un verre au café de la Mairie. Il désignait alors le large esplanade et les deux hautes tours de l’église, en criant, espiègle: « un jour tout sera à moi! »

Rien de tout cela ne fut à lui, ou alors de façon temporaire. Dans nos mémoires embrumées, demeurent ses livres comme des pépites, « la Partie Belle », « Baudelaire et les Voleurs », « la Comédie Légère » ou encore « les Enfants de Fortune », où il évoquait un hypothétique loueur d’enfants et le film de Charles Laughton « la Nuit du Chasseur ». Et, bien sûr, « Affaires Etrangères », qui allait lui valoir le prix Renaudot, et qui évoquait ses rapports avec son patron de Julliard, Bernard de Fallois – il m’avait copieusement engueulé, car j’avais relevé précisemment la chose dans un articulet de Paris-Match où je tenais alors la rubrique « Livres » – « tu es fou, tu vas me coûter le prix« , m’avait-il lancé furibard.

Jean-Marc avait des colères vite retombées, qui étaient souvent proportionnelles à sa chaleur et à son amitié. J’en parle, encore abasourdi par cette mort idiote, qu’il semblait narguer. Il accumulait les romans, souvent brefs, comme plus tard, il accumulera les enfants (cinq en tout si je compte). Ses livres? « Tu es le seul, avec ma première femme, à les avoir tous lus« , me disait-il évoquant Pamela, la fille du critique d’art de l’Express qui fut sa première compagne, si douce, si patiente et surtout la mère de ses premier enfants. Et qui faisait si bien les spaghetti dans leur appartement de la rue du Champ de Mars.

Me resouvenant de mes premiers moments avec ce drôle de luron qui se vantait de ses farces téléphoniques avec son compère de l’époque, Patrick Modiano, je le revois avec un perpétuel sourire au livre. Aigu, vif, ironique, sardonique. Ce même Jean-Marc que retouve dans son dernier livre. Cela s’appelle « Deux vies valent mieux qu’une » et c’est le récit par vagues de ces derniers mois à l’hôpital à se battre avec ses armes, l’ironie, l’humour, la distance, l’élégance, contre les tumeurs, qu’entrecoupent, de façon diffuse, ses souvenirs d’été en Calabre, entre son oncle et ses cousines, ses petites amoureuses, un ciel d’un bleu limpide, qui tranche si fort avec le blanc de l’hôpital.

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C’est émouvant, drôle, tragi-comique, avec des bons mots à toutes les pages (« On compte plus de cas de cancers en septembre que de candidats au Goncourt« ). Bref, du Roberts à l’état pur.

Deux vies valent mieux qu’une, de Jean-Marc Roberts (Flammarion, 105 pages, 13 €).

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Publié le 28 mars 2013 par

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