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Jean-Paul Kauffmann a remonté la Marne

Article du 13 février 2013

Remonter la Marne, de Jean-Paul Kauffmann

Attention, livre rare! Un mois et demi durant, au rythme lent de 13 km par jour, avec des arrêts imprévus, des allers-retours nécessaires, celui d’une divagation fluviale, Jean-Paul Kauffmann a remonté, à pied, le cours de la Marne. Depuis l’Est de Paris, côté Chinagora, au confluent de la Marne et de la Seine, jusqu’au plateau de Langres, au village de Balesmes, il s’agit de suivre le cours de la rivière mythique des bastions de l’Est, de la fameuse bataille de la Grande Guerre, mais aussi celle qui baigne la Champagne. Ce sera l’occasion de retrouver une certaine idée de la France, hors mode, qui perdure près des écluses, des forêts, des vignes ou des places endormies, celles des sous-préfectures ou des villages désertés. Le départ se fait un 3 septembre. Le voyage pédestre profite de conditions climatiques exceptionnellement douces: fin d’été chaude et lumineuse, début d’automne débonnaire.

Jean-Paul Kauffmann, qui, depuis sa capitivité au Liban, trois ans durant, dans les geôles du Hezbollah, a beaucoup voyagé. Les Kerguelen ou Saint-Hélène (la Chambre noire de Longwood), les Landes (la Maison du Retour) ou la Courlande, ont démontré chez lui un art de la digression  qui fait se rencontrer récit vécu, nostalgie littéraire, souvenirs historiques avec une économie de mots et une fluidité d’écriture qui font merveille. Il place ici ses pas dans ceux du méconnu Jules Blain qui parcourut dans les années 1920 le cours de la Marne, depuis Trilbardou, près de Meaux, jusqu’aux origines. Il paye son tribut à Jacques Lacarrière et à son « Chemin Faisant » (1974), qui menait des Vosges aux Corbières, et qu’il avait averti: « un jour, je ferai comme vous« .

Jean-Paul Kauffmann © Fayard/John Foley Opale

Jean-Paul Kauffmann © Fayard/John Foley Opale

De fait, Jean-Paul chemine, regarde, prend son temps, sort ses cigares, boit une coupe de champagne, devise avec des amis rencontrés sur la route, et retrouvés, et qui chemine à leur tour en sa compagnie, tel ce mystérieux Milan, photographe champenois, qui ressemble beaucoup à Gérard Rondeau, auquel ce livre est dédié. Cette cohorte d’amis de hasard, qu’il nomme les conjurateurs, lui permettront de fixe une photo sinon exacte du moins assez juste, intime, sensible, sur cette France de l’Est que ce natif de Bretagne, aux lointaines origines alsaciennes, retrouve toujours avec émotion. « Il suffit que je prenne l’autoroute A4 pour que je ressente aussitôt cet appel mystérieux. Du côté de Sainte-Menehould, en Argonne, mon rythme cardiaque s’accélère, je deviens euphorique. »

Il y a cet étudiant japonais qui chemine sur un sentier de halage et avec qui il trinque de belle manière, vainquant l’obstacle de la langue, cette journaliste parisienne croisée dans un hôtel à St Dizier, le souvenir d’André Breton, qui étudia à l’hôpital psychiatrique local, la poésie en demi-teinte d’une fin de journée à Meaux, Aÿ, Joinville ou Vitry-le-François, pour finalement goûter l’eau de la source non loin de Langres où naquit Diderot. Elle a « un goût étrange de menthe et de mousse, pur et coupant« . Ce beau voyage au but nébuleux offre une vision finalement optimiste sur cette France qui perdure, cette campagne qui garde ses droits, ce modernisme battu en brèche, mais sans combat. Voilà un livre d’amour, vertueux, certes, et témoignant d’un bel esprit janséniste, sobre, sans éclat, cherchant le sel de la vérité, dont Jean-Paul Kauffmann se veut le dernier défenseur.

Jean-Paul Kauffmann © Maurice Rougemont

Jean-Paul Kauffmann © Maurice Rougemont

Remonter la Marne, de Jean-Paul Kauffmann (Fayard, 262 pages, 19,50 €).

A propos de cet article

Publié le 13 février 2013 par

Jean-Paul Kauffmann a remonté la Marne” : 7 avis

  • Almoyna

    Nombreux sont ceux qui sont tellement obsédés par la vitesse, et tellement en décalage avec le rythme lent du cheminement, qu’ils lisent 13 km/h lorsqu’on écrit 13 km par jour…
    Edifiant non?

  • Très beau livre, à partager avec tous les amoureux des rivières, des odeurs, des gens, des rencontres. A chacun sa Marne, celle d’un enfant de Montreuil sous bois n’est pas toujours celle de JPK mais elles se croisent, les baignades à Neuilly sur Marne, à Vaires, les promenades dans Saint_Maur avec Patrick Modiano, les recherches d’une grand_mère hospitalisée avec Camille Claudel à Maison-Blanche en face de Ville-Evrard, le roller le long de la Marne à Neuilly-Plaisance, le kayak dans Lagny et Dampmart, Montevrain, la Maison du Métro… Jusqu’à la librairie de Saint-Dizier entrevue en sortant du musée, en passant par Châlons sur Marne et son Ecole Impériale des Arts et Métiers…

  • bout de craie

    Effectivement, 13 km l’heure, ce monsieur Gilles Pudlowski met bien « Les Pieds dans le Plat ».

  • Phil

    Dommage que la fin soit bâclée, Langres valait bien un détour aussi important que St Dizier
    Un peu déçu

  • je n’ai pas encore lu ce livre, mais rien que le titre et celui qui la écrit, je sais qu’il me plaira
    et cet article bien rendu
    9 avril 2013 1 heure 42

  • democit

    marcher « au rythme lent de 13 km l’heure », cela ne fait pas très sérieux ou Kaufman est un surhomme, mais à cette vitesse, comment a t’il pu faire toutes ces rencontres?,

  • Je viens d’apprendre l’aventure accomplie par Jean-Paul Kauffmann et je tenais à saluer cette belle entreprise.
    En tant que « collègue marcheur », je lui adresse un petit salut.
    Bienvenue au club des grands randonneurs.

    De mon côté, je ne connais que le confluent de la Marne avec la Seine que j’ai eu l’occasion d’admirer lorsque j’ai descendu toute la Seine à pied.
    C’était en 2004, en juillet. Je suis parti de la source de la Seine en Côte d’Or et j’ai longé toutes les berges de la Seine jusqu’au Havre.
    Là également, que de souvenirs !
    Patrick Huet, écrivain et fleuve-trotteur.

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