« Il faut toujours dire que tout est bien »
Pour ceux qui suivent, avec fidélité, la pensée du jour de mon site facebook, voilà le poème d’où elle est extraite. On ne lit plus guère aujourd’hui Pierre Seghers, qui fut l’éditeur des poètes et un anthologiste de qualité (cf le Livre d’Or de la Poésie Française, chez Marabout). Mais plus, sans doute, René-Guy Cadou, qui fut la figure de proue de l’école de Rochefort, qui prônait « l’odeur des lys la liberté des feuilles » – mort à 31 ans en 1951 -, à qui il est dédié. Voici ce poème-éloge, qui relie Seghers à Cadou, avec sa fraîcheur intacte, sa sincérité franche, sa vraie pudeur, sa fausse naïveté.
A René-Guy Cadou
par Pierre Seghers
« Si
La mort
Vient un soir
De plus grand vent
Déchirant les arbres
Si les fleuves du ciel
S’écaillent passé l’automne
Si le bonhomme sous les feuilles
Avec la neige fond et s’enfonce
Dans le pays des sèves et des mots
Ah! si tout s’en va dans les campagnes
Un soir comme les autres, si
Les vieux voisins t’accompagnent
Rêver avec les tiens
Parmi leurs travaux
De tous les jours
Si la cloche
Pour toi
Sonne
Il faudra dire que tout est bien
Non, ce n’est rien, tout ne fut pas vain, tu accompagnes
Les songes du berger quand il paît son troupeau
Les vieilles femmes parleront de toi dans les veillées
Et d’autres te liront et sauront à vingt ans
Tes vers. Tu les diras avec leurs voix qui chantent
Dans l’aubier de leur coeur secret. Non, ce n’est rien
Tu ne te lèveras plus la nuit pour écrire
Mais ton visage que tu regardais changer
Demeurera pour eux entre l’école et le clocher
Si
Le temps
Te reprend
Tout comme avant
Si le vent qui passe
apporte avec ton nom
L’odeur des bois, de la chasse
Si le soleil et si les lys
Compagnons de ton plus grand voyage
Reviennent, si les feux reviennent, si
Un seul mot de toi suffit pour voir
Ta lampe s’allumer le soir
Si un visage qui brûle
D’un impossible espoir
Te retrouve enfin
Alors tout est
A nouveau
Pour toi
Bien
En échange, chère lectrice attentive, amoureuse de l’Ecole de Rochefort, voilà ce poème de Jean Rousselot, cité de mémoire, donc pardonnez-moi pour l’hypothétique ponctuation:
« Un jour,
comme il m’est arrivé de le faire aux temps heureux, de la neige inédite, des lichens savoureux
je mettrai des bateaux en bouteille
je ferai rimer femme et violoncelle
j’irai camper dans le faux bois
Je me persuaderai, sans trop de peine, qu’il y a quelqu’un derrière les choses
Et que tout ce vide
Où l’on ronronne comme
le sang que l’on retient les dents serrées
c’est ma maison vivante et bonne, mon placenta qu’on n’aurait pas jeté.
Un jour
Si ça me chante ou si je suis suffisamment harassé pour consentir à l’espoir
Vous me verrez redevenir un poète comme les autres
C’est à dire un lâche
Et un menteur »
Poétiquement à vous
Merci, chère lectrice. Votre message, votre poème nous font chaud au coeur. Bien à vous.
Cher monsieur,
merci pour ce poème de Pierre Seghers !
Je courais après des vidéos de Pierre Seghers, comme je pourrais partir à la recherche de Jean Rousselot, autre trésor de l’Ecole de Rochefort, mais hélas, de vilaines maquerelles sucent le jus de nos adresses numériques, et je persiste à les tenir en respect.
Pourtant tout est bien, puisque votre page apparaît, avec ce bel hommage de Pierre Seghers à René-Guy Cadou: il m’autorise à les emporter, avant de les enfouir, dans une caravelle,
Dans une vieille et douce caravelle,
Dans l’étrave, ou si l’on veut dans l’écume,
Et de les perdre au loin, au loin.
Dans un attelage d’un autre âge.
Dans le velours trompeur de la neige.
Dans l’haleine de quelques chiens réunis.
Dans la troupe exténuée de feuilles mortes.
[…]
Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,
Sur les tapis des paumes et leur sourire,
Dans les corridors des os longs et des articulations
A les emporter ou plutôt à les enfouir […]
(extrait librement adapté d’un poème tiré de Mes propriétés, Henri MICHAUX, Éditions J.-O. Fourcade, 1929 ;
http://www.barapoemes.net/archives/2017/05/22/35309703.html )
Que ce petit message vous soit aussi régénérant que le fut pour moi le beau poème de votre blog…
Un sourire
Patricia Colomb
P.S. C’est par Jacques Bertin que, récemment, j’ai découvert René-Guy Cadou (et l’Ecole de Rochefort).