The Fat Duck
« Heston Blumenthal chez vous et chez lui »
Voilà Heston Blumenthal, le leader de la cuisine moléculaire anglaise, trois fois étoilé au Fat Duck de Bray-on-Thames, se glissant dans votre cuisine et offrant ses idées presque simples à faire chez soi. Cela s’appelle « Heston Blumenthal dans votre cuisine » et le titre dit tout le sorcier Heston vous délivre ses secrets de cuisson autant que sa recette des choux de Bruxelles au bacon, vous explique que les asperges ne se cuisent jamais à l’eau au risque de leur faire perdre leur goût et vous instruit quant à la confection du gaspacho de chou rouge, de la soupe de champignons ou encore du poulet braisé au jerez et à la crème. Instructif, savoureux et finalement assez bluffant.
Heston Blumenthal dans votre cuisine, d’Heston Blumenthal (Flammarion, 29,90, 408 pages).
En prime, voilà ci-dessous la recension de ma première visite au Fat Duck narrée jadis dans le Point sous le titre « La magie Blumenthal ». Et avec ce chapô: tout près de Londres, un sorcier anglais qui fait la cuisine avec des grains de génie. Une très grande table créative à découvrir. C’était en 2004, déjà! Mais le prix signalé ci-dessous est bien d’aujourd’hui.

Heston Blumenthal © Maurice Rougemont
Le Harry Potter de la cuisine british, c’est lui. Qui draîne dans son mini-village la horde des gourmets passionnés et qui a reçu l’onction des trois étoiles sans sciller dans un ancien pub rénové de frais, à deux pas de la Tamise et quelques à 35 km à l’Est de Londres, non loin d’Ascot et de ses courses chics qui attire la gentry anglaise.
Un magicien, Heston Blumenthal? Il y a de ça. Prenez un autodidacte de 40 ans, qui eut le choc de la cuisine, alors qu’adolescent, il accompagne ses parents aux Baux de Provence, à l’Oustau de Baumanière. Il revient chez lui en Angleterre. Se frotte aux grands de son époque. Raymond Blanc l’accueille en stagiaire discipliné au Manoir des Quat’Saisons près d’Oxford, puis Marco-Pierre White, qui fut le premier trois étoiles vraiment anglais, sans oublier le grand ancien de Bray, trois étoiles lui aussi et depuis belle lurette, Michel Roux du Waterside Inn, qui veille d’un œil protecteur son jeune voisin.

Ambiance © Maurice Rougemont
Le discret Heston a connu une progression fulgurante. Il ouvre sa demeure en 1995, après avoir « raté » son départ pour l’Afrique du Sud. Sert des plats de cuisine bourgeoise à la française, puis, très vite, se décide à inventer, grâce à ses rencontres avec le physicien anglais Nicolas Kurti et des échanges avec le chimiste français Hervé This. 1 étoile en 1998, 2 en 2002, 3 en 2004 : le Michelin n’a pas tardé à couronner ce petit bonhomme à lunettes, qui raconte ses émotions, sa vie, ses expériences sur son site Internet. Mais n’oublie pas de cuisinier au quotidien.
Un repas chez lui? Une suite de merveilles, qui désarçonnent d’abord, puis éblouissent, étonnent, puis, finalement, ravissent. Il y a l’époustouflant « début de menu » qui vous nettoie le palais en vous glissant de la fumée par les narines : un incroyable mélange d’azote, de thé vert, de citron, de vodka, qu’on avale comme un bonbon détonnant et vous met les idées au net. Puis c’est la succession de plats fantasques : gelées de betterave jaune et d’orange rouge, jouant avec le contraste des couleurs et des goûts, huître baroque avec gelée de passion et parfum de lavande, glace à la moutarde ancienne et chou rouge en gaspacho, formidable gelée de caille avec purée de pois, crème de langoustines et parfait de foie gras, comme un hommage à la gelée de gorge de pigeon d’Alain Chapel.

Gelée de betteraves jaunes et rouges © Maurice Rougemont
Classique sans le savoir, Heston Blumenthal explore la magie des saveurs en revendiquant la nostalgie de l’enfance. Son porridge d’escargots au persil et jambon Jabugo, sa sardine en sorbet toasté, avec ballottine de maquereau, son saumon poché à la réglisse ou son œuf au bacon en pain perdu et glace façon dessert sont des révérences, habilement détournées, au bon vieux « mauvais goût » des années 60. Transmuer les mariages impossibles en délices contemporains, voilà son style, qui fait des clins d’œil à son alter ego de Catalogne, Ferran Adria d’El Bulli.

La façade © Maurice Rougemont
On donne un coup de chapeau à ses plus « classiques » ris de veau en croûte de sel au foin avec sa purée de navets, comme à sa selle et langue d’agneau au chou. On n’oublie pas le jeu des desserts fruités et colorés: purée de mangue et de bourgeon de sapin, avec bavarois de lychee, sorbet myrtilles et gelée de poivre ou fraises mara des bois macérée avec purée d’olives, œuf brouillé à la pistache.
Le jeune personnel français dynamique et dévoué en salle donne une note de complicité familière à la demeure, les plus beaux vins de la planète suivent. Bref, il est temps pour les gourmets d’accomplir le pèlerinage au Fat Duck.