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Le dernier mort de Mitterrand

Article du 22 août 2010

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C’est l’une des belles lectures de l’année, et fut une de mes belles lectures de l’été, avec beaucoup de personnages qu’il m’arriva de rencontrer, de croiser, sinon, toujours, de véritablement connaître. Comme Pierre Bérégovoy, par exemple, à qui je demandais un  jour ce qu’il pensait du PSU, et qui me répondit (c’était au sortir du Crillon, lui d’une réunion diplomatique, moi d’un cocktail des Relais & Châteaux): « je ne crache pas dans le bouillon dans lequel j’ai trempé ma cuiller ».

Mais Raphaëlle Bacqué, à qui on doit déjà l’excellent « la Femme Fatale », ne doit rien à personne, cite ses sources, croise cent ou mille personnages de la comédie politique – cette comédie qui, nous explique-t-elle ici, peut virer au drame. Michel Charasse, Claude Gübler, Erik Orsenna (alias Erik Arnoult), Pierre Joxe, André Rousselet, Jacques Attali, Anne Pingeot et Mazarine, Laurence Soudet et Christian Prouteau, Maurice Benassayag et Roland Dumas, Jean Montaldo et Jean Glavany, Thierry Jean-Pierre et Hubert Védrine font partie des figures qui traversent ce livre ténébreux en ombres chinoises et même un peu plus.

Les deux héros? François Mitterrand et son « dernier mort », François de Grossouvre, retrouvé suicidé dans son bureau du palais de l’Elysée. Ce qu’explique Raphaëlle Bacqué, c’est l’usure de l’amitié entre les deux hommes, la force du pouvoir, pour l’un, la jalousie maladive de l’autre l’entraînant vers une sorte de folie. Elle raconte, esquisse, recrée. La prouesse? Assurément avoir su se mettre dans la peau de cette étrange éminence grise, démodée, très fin de siècle et fin de race, que fut Grossouvre, à la fois parrain de Mazarine, directeur des chasses présidentielles, ex aristo maurassien devenu industriel lyonnais, spécialiste du service secret, expert ès relations franco-africaines, financier occulte, enfin fantôme errant dans les coulisses du pouvoir.

La dernière grande qualité de ce livre? Son écriture à la fois cursive, fugace et sobre. Bref, voilà un essai sur la politique politicienne des dernières années du Mitterandisme, mais en même temps, un vrai livre d’écrivain. Assurément, l’auteur barrésien et chardonnien de « la Paille et le Grain » et de « Ma part de Vérité » aurait apprécié.

En voilà les premières lignes, pour le plaisir:

« A cette époque, j’ignorais encore la fragilité du cœur des hommes. J’avais bien appris la science politique, mais je n’avais jamais côtoyé le pouvoir. Je ne savais ni les brutalités de la Cour, ni les méandres des palais. Le 10 mai 1981, je n’avais même pas eu l’âge suffisant pour voter. On évoquait les dissimulations de François Mitterrand, j’imaginais Machiavel, on se pâmait sur sa séduction, je voyais Casanova. Pour le reste, dans le fatras des clichés, je lui trouvais un air de vieille femme mais le merveilleux sourire de Jean-Louis Trintignant. En somme, je ne connaissais rien à rien.« 

Le dernier mort de Mitterrand, de Raphaëlle Bacqué (Grasset/Albin Michel, 238 pages, 18 €).

A propos de cet article

Publié le 22 août 2010 par

Le dernier mort de Mitterrand” : 5 avis

  • Lea Moretti

    La corruption ce mal de la V République. Les nombreux morts de Mitterrand dont un membre de ma famille anonyme seront un jour dévoilés même si l’Histoire se réécrit et est toujours complaisante pour les malfrats idolâtrés et pervers.
    Le mythe s’effondre avec le temps. Tant que l’on ne sait rien on idéalise mais dès qu’on décante les affaires, la nausée est irrépressible. On est à l’époque d’internet et la transparence fait mal. Il suffit de se pencher avec un moteur de recherche et de recouper les archives et les faits, et là tout devient clair. ça fait mal, très très mal internet et vous journalistes, larbins du pouvoir pour exister, vous n’êtes pas glorieux car complices forcément.

  • C’est, en effet, sa seule qualité…

  • Cela n’enlève rien à sa qualité littéraire…

  • La famille de Grossouvre et moi, ancien collaborateur de François de Grossouvre à l’Elysée, contestons le bien fondé du livre de Raphaëlle Bacqué, la véracité et/ou l’interprétation des faits et situations décrits, le portrait qu’il ressort de François de Grossouvre, les rôles qu’il a tenus tant dans la Résistance qu’à l’Elysée… Et surtout la conclusion sur le suicide, loin d’être étayée par des preuves que l’auteure prétend apporter. Cf. http://pierda.wordpress.com/ et notamment interviews au Figaro Magazine et à Europe 1.

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